SF ou fantastique ?

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Damasio : 7. Des conflits générationnels et sociaux

Jeunes et vieux, riches et pauvres

La Zone du Dehors, sous une apparence de démocratie faite pour rendre les citoyens heureux, cache des tensions avivées par la concurrence informulée à laquelle les gens sont invités à se livrer pour grimper l’échelle sociale symbolisée par les noms. Et comme dans toute critique qui se respecte, Damasio mêle le politique, l’économique, le social : la lutte est lancée contre le pouvoir, contre les riches et leur classe. Ce sont dans les quartiers riches que les actions militantes les plus spectaculaires sont menées – et c’est une petite fille riche qui est blessée dans un attentat censé être sans victime, d’où la question qui se pose dans toute son horreur aux militants : où s’arrêter dans les actions ? Jusqu’à quel degré de violence est-on prêt à aller pour se faire entendre ?

L’autre opposition du roman, quoique moins sensible, se situe entre les générations : les plus âgés estiment qu’ils ont de la chance de vivre dans ce paradis extra-terrestre social et économique si différent de ce qu’ils ont connu sur Terre – rendez-vous compte, seulement 4 heures de travail par jour ! – et que les jeunes devraient se montrer reconnaissants au lieu d’y trouver à redire. La fameuse formule « c’était mieux avant » est ici malicieusement retournée par Damasio ! Cependant, Captp, héros de l’histoire, et ses amis n’ont pas connu les dernières heures sinistres de la Terre, et ils ne s’en laissent pas conter : ils sont conscients au plus haut point de l’oppression insidieuse que ce système exerce sur leur vie, leurs désirs, leur volonté, leur potentiel, et ils ne la supportent pas, ils veulent s’en libérer, ils veulent libérer la société toute entière, ils veulent lui rendre son libre-arbitre, loin du contrôle social imposé par les politiques. Cette oeuvre est un cri, une exigence de liberté, de réappropriation de soi.

Golgoth, entre père et frère

Golgoth, dans La Horde du Contrevent, est un personnage difficile à cerner : puant et vulgaire, l’auteur en a fait volontairement quelqu’un de détestable. Pourtant, la fin du roman nous donne des clefs de compréhension : il a lui aussi des fêlures, liées à sa famille, et surtout à son frère et son père. Son père est décrit comme un tyran qui a obligé son fils (le frère de Golgoth) à se confronter à une forme violente du vent alors qu’il n’était pas prêt, ce qui a causé sa mort. Golgoth, attaché à son frère et traumatisé par sa mort, voue depuis une haine quasi mortelle à son père. Malgré le côté très sombre de cette tragédie familiale, on ne peut s’empêcher d’être ému par les sentiments violents qui ont secoué Golgoth face à la mort du frère aimé et face à la culpabilité du père qui va dès lors représenter pour lui la haine absolue, à la hauteur de l’amour fraternel. La confrontation du fils et du père est révélatrice de la violence des émotions que Golgoth ressent encore des années après le drame : « Son père, surpris, tente de se retirer. C’est déjà trop tard. Il y a un bruit d’os. Un son net de fracture. Puis un autre. Crac. Un autre. Le silence. Un autre. Sec. Mat. Atroce. Phalange après phalange. Tarse par tarse. » (p. 204) ; « Il serrait de toute sa puissance d’une vie à attendre ce moment » (p. 203). Golgoth en perd ses capacités d’expression, ses moyens de communiquer : « Golgoth n’avait plus de voix, plus de glotte. » (p. 204) ; « Mais Golgoth n’avait plus de tympans depuis longtemps, et plus de langue. » (p. 203). Pour lui, rien n’est oublié, rien n’est pardonné.

La 34e Horde face aux autres

La Horde n’est pas unique : c’est la 34e. La question se pose alors de ses relations avec les autres Hordes, notamment celle qui précède – et celle qui pourrait suivre.

La rivalité entre les hordes est clairement exprimée : « Si nous passons ce pilier, nous deviendrons la horde la plus en amont de toute l’histoire des hordes » (p. 160). La horde qui précède, ce sont les valeureux aventuriers que l’on cherche à dépasser, ce sont aussi les parents. Il s’agit là d’une double ambition, et d’une situation toute psychanalytique. Faut-il imiter ses parents – et renoncer à un projet impossible et suicidaire, se poser, goûter la douceur d’un foyer ? Faut-il au contraire dépasser les réussites – et les échecs – des autres, se dépasser soi-même, en renonçant à tout le reste, en renonçant à sa propre vie, la vie normale et agréable qu’on pourrait avoir ? Faut-il poursuivre ses propres objectifs ou faire à tout prix mieux que les autres ? C’est le dilemme face auquel les parents de Sov le mettent : « Peur de désobéir à l’Hordre ? peur de renoncer à ton existence programmée de contreur de vent ? peur de devenir toi, et pas qu’une fonction ? » (p. 208).

Golgoth, chef tyrannique et torturé, se montre clair face à l’idée de faire des enfants : ce ne pourrait être que dans le but de créer une nouvelle horde, or c’est inutile puisque la sienne atteindra forcément l’objectif ultime et terminera ainsi l’entreprise commencée des générations avant. Pour lui, les désirs de parentalité de ses compagnons hordiers ne sont qu’un manque de confiance envers la Horde – envers sa horde, et il a beaucoup de mal à l’accepter.

Création : 02/10/2015

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