SF ou fantastique ?

SF ou fantastique ?
SF ou fantastique ?

L'exposition du siècle !

La BnF nous propose une exposition monstre sur Tolkien et son oeuvre : "Tolkien, voyage en Terre du Milieu". A ne pas rater !










[Je sais que c'était interdit de prendre des photos].

On est tout de suite accueillis par de grands panneaux imprimés qui nous plongent sans crier gare dans l'univers littéraire et artistique de Tolkien : ses créations, son imagination, ses recherches ; et l'univers visuel issu des films de Peter Jackson.

L'entrée de l'exposition




On se sent tout petits du fait de cette scénographie, et on découvre l'envers du décor : la genèse, les richesses, les significations de l'incroyablement vaste création de ce génie...

Cartes et chronologies


D'abord quelques repères chronologiques et géographiques : Tolkien a créé son monde avant de créer ses personnages ; il avait l'histoire et la géographie globales ET précises en tête avant de commencer. Et d'après lui, on devrait toujours commencer une histoire ainsi : « J'ai commencé, avec sagesse, par une carte, à laquelle j'ai subordonné l'histoire. […] Faire l'inverse est source de confusion et de contradictions. »



1e carte du Seigneur des Anneaux 1937-1949
Carte de la Terre du Milieu annotée par Tolkien
"La Terre du Milieu, située entre les océans, ressemble à notre Europe, transposée dans un passé imaginaire. Dessinée par Christopher Tolkien, ancien pilote de la Royal Air Force possédant une excellente connaissance de la cartographie, et annotée par Tolkien pour qui Hobbitville serait située à la latitude d'Oxford."

 

D'autres cartes, plans, chronologies :

  

Les Hobbits et la Comté


« J'ai commencé, avec sagesse, par une carte, à laquelle j'ai subordonné l'histoire. […] Faire l'inverse est source de confusion et de contradictions. »

Il n'a peut-être pas tort, mais quand même, se laisser porter par une histoire et des personnages avant de se préoccuper de cartes et de chronologies, c'est agréable aussi...

1e carte du Comté

 

On y retrouve un peu le type d'iconographie de la Montagne Solitaire



Les Nains et la Moria


Le Livre de Mazarbul : si Le Seigneur des Anneaux ressemble à un roman historique, il le doit aussi à la présence de "documents" cités au fil du récit ou reproduits, comme les mots sur la tombe de Balin et la porte de la Moria. Tolkien espérait insérer trois pages de fac-similés de manuscrits "nains" qu'il avait réalisés.



Les Portes de la Moria, ou Portes de Durin 

Sur la porte de la Moria, des symboles renvoient au peuple des Nains (l'enclume, la couronne, les étoiles), d'autres (les arbres) aux Elfes. La juxtaposition des lettres elfiques sur l'arche et de leur translittération en caractères latins, sur le dessin, fonctionne comme la pierre de Rosette.
Le Seigneur des Anneaux contient une représentation graphique de la porte que les héros trouvent sur leur chemin, lorsqu'ils essaient d'entrer dans la Moria, un royaume des Nains. Le mage Gandalf fait apparaître le dessin d'une porte et des lettres qu'il s'agit pour lui d'interpréter correctement, pour ouvrir le passage.

Je trouve toutes ces idées fascinantes. Différents symboles, différentes langues, des juxtapositions, des translittérations, une interprétation linguistique pour ouvrir un passage... Ou comment rendre la linguistique fascinante et support d'éléments fictionnels et narratifs. Manipuler la langue permet d'avancer dans le récit, d'abolir des obstacles, de résoudre des énigmes. C'est l'énigme du Sphinx, c'est l'Histoire sans fin. C'est extraordinaire.

   
  


La Moria et les Prisons imaginaires de Pinarèse

« Gouffre noir » en Sindarin (elfique), la Moria se caractérise par la grandeur de son architecture massive, laissant pourtant un sentiment de confinement. Ce monde sombre et souterrain évoque Pinarèse et sa série des Prisons imaginaires (1745-1750). Ce sont là aussi des lieux imaginaires, un univers ténébreux, aux nombreux niveaux et aux machines étranges.

Et ces gravures de Pinarèse sont magnifiques. Je suis restée longtemps à les contempler.




Les Elfes, la Lothlorien, Rivendell


Ah, les Elfes et la Lothlorien. Que de merveilles... C'est l'élégance incarnée.

Rivendell :



 

La forêt de Lothlorien au printemps


La porte du domaine du roi des Elfes

 

Les langues


D'innombrables langues ont été inventées par Tolkien, avec leur histoire, leur évolution, leur grammaire, leur phonologie... Un travail totalement incroyable, même venant d'un brillant linguiste universitaire. Imaginons que tous les linguistes fassent de même : que de créations géniales aurait-on.

Et les panneaux de l'exposition les mettaient bien en valeur, lumineuses sur fond bleu sombre.



 

 


 

Grammaire, flexion, arbre des langues, systèmes consonantiques, phonologie... Tout y est. On sent que Tolkien s'est bien amusé ! Il était dans son élément.

  


L'arbre des langues : Partant de la langue des Valar, cet arbre montre l'apparition de celles des Elfes (Quendil), des Nains, des Orques, mentionnant le qenya ("latin des Elfes") et le noldorin, selon la conception qu'avait alors Tolkien de leur histoire fictive : six de ces langues "sont encore parlées", quatre "sont encore préservées ou conservées dans des écrits".

Et on peut même écouter de l'elfique !!


La forêt


Un arbre anthropomorphique :

 

Vieil Homme-Saule :


Les forêts : refuge ou danger ?

Les deux : chez Tolkien, rien n'est univoque ni simpliste. Son oeuvre est un hymne à la puissance de la nature sauvage, préservée des atteintes de la révolution industrielle, dont les représentants sont les Ents : "les Ents sont composés de philologie, de littérature et de vie. Ils doivent leur nom aux géants anglo-saxons, et à leur rapport à la pierre. Je mourrais d'envie de concevoir un cadre dans lesquels les arbres pourraient réellement partir en guerre."

Saroumane et Isengard


Orthanc, tour de Saroumane, au centre d'Isengard :

 

Les influences iconographiques : Doré, Rackham, Dulac


Toutes ces sources iconographiques m'ont également beaucoup inspirée. Je suis d'accord avec Tolkien : la littérature, les images, l'imagination sont liées, inextricablement. Elles se nourrissent les unes les autres, et c'est une des manières de créer des chefs-d'oeuvre. 
Et je constate que j'ai des points communs avec Tolkien pour ce qui est du type d'images qui nous inspirent.

Doré : il reste mon artiste préféré dans le domaine de la gravure.

Le Petit Poucet de Charles Perrault
Dans le Petit Poucet, la forêt est un lieu terrible et sombre. C'est l'endroit où l'on perd les enfants. Mais dans le Petit Poucet, c'est l'enfant le plus petit, et a priori le plus faible, qui sauve tous les autres. Le rôle joué par les Hobbits est du même ordre dans le Seigneur des Anneaux : c'est ce que Tolkien appelle l'ennoblissement.

 


L'Enfer de Dante
"Alors il se mit en marche, et je le suivis", Ch. I
Virgile et Dante se rencontrent dans la forêt et entament leur voyage vers l'Enfer. Les personnages apparaissent dans un univers à la fois minéral et végétal qui écrase par sa taille et sa force.



"J'entendis ce qu'on me disait : Prends garde où tu marches !"
Comme Virgile conduit Dante dans l'illustration de Doré, Gollum conduit Frodo et Sam à travers les Marais Morts. Dans la pénombre qui s'épaissit, à l'approche du Mordor, la silhouette des joncs et roseaux mourants évoque "les ombres haillonneuses d'été depuis longtemps oubliés".



Comment ne pas être fasciné ? Effrayé ? L'effroi qui immobilise, qui paralyse, qui empêche la pensée de réagir - et en même temps, souhaitons-nous être ailleurs ?


Une source d'inspiration pour le Balrog, dans l'Enfer de Dante :
L'Enfer : sur ce dessin accompagnant le texte de l'Enfer de Dante apparaît une figure de démon. On distingue des ailes, des cornes, vaguement une face. Il s'agit d'une créature dévorante. L'image correspond assez bien à ce que Tolkien dit des Balrog - "esprits premiers du feu destructeur".




Une créature des eaux, digne inspiratrice des monstres des marais du Mordor : Nokken ou le Nokk, Théodore Kittelsen, 1916 :



C'est terrible, effrayant et magnifique. Deux yeux seuls, une face vaguement humaine, un monstre qui se devine, un fantôme ? Une créature inhumaine ? L'effroi est là, il ne pourra que nous saisir, empirer.


Roland Furieux de l'Arioste




Idylls of the King (Enide), de Tennyson

 

Les idylles : Idylls of the King, publié entre 1859 et 1885, est un cycle de douze poèmes narratifs du poète anglais Alfred, Lord Tennyson (1809–1892) qui raconte la légende du roi Arthur :

1 La venue d'Arthur
2 Gareth et Lynette
3 Enid (Camelot ; Yniol Shows Prince Geraint His Ruined Castle)
4 Balin et Balan
5 Merlin et Vivien
6 Lancelot et Elaine
7 Le Saint Graal
8 Pelleas et Ettare
9 Le dernier tournoi
10 Guenièvre
11 Le décès d'Arthur
12 À la reine


Histoire des croisades :
"Plus de cent mille tête furent lancées dans Nicée..."


Rackham

Le Vaillant Petit Tailleur (1909)


Le songe d'une nuit d'été (1909)



Dulac

L'Eldorado de Poe



L'Apocalypse de Jean

 


La Tentation de Saint-Antoine, Callot (1592-1635)


Le désordre, la quasi toute-puissance du Mal : "Dans mon histoire, Sauron  représente ce qui s'approche aussi près que possible de la volonté totalement malfaisante. [...] Il est allé plus loin que les tyrans humains dans son orgueil et son désir de domination" Tolkien.

Les influences littéraires et historiques : bibliophilie, philologie


Ce sont des sources essentielles pour Tolkien ; mais je dois dire que cela me fascine moins. Ou du moins cela stimule moins ma fibre créatrice. Trop historique, trop sérieux, trop réel. Pas assez d'imaginaire là-dedans.

Chronologie du Danemark (1643) par Ole Worm :


Monuments danois, Ole Worm (1642-1643)


Ce document est un relevé des inscriptions runiques des pierres dressées en Scandinavie. Les runes peuvent s'écrire à l'horizontale comme à la verticale.


A l'Est du Soleil et à l'Ouest de la Lune - contes anciens du Nord (Edmond Pilon et Kay Nielsen, 1919)
Franchement, un titre pareil, c'est complètement irrésistible !




Saint-Georges combattant le dragon (1350)
De nombreux saints sauroctones, qui combattent des dragons ou des monstres.



Histoire de Merlin, Robert de Borron, XVe

 

Lancelot du Lac (XVe)

 

La Chanson des Nibelungen, Franz Keim et Carl Otto Czeschka, 1908



D'autres livres absolument magnifiques :

  

Coups de cœur pour...


... Taur-na-Fulin (Silmarillion). Il faut dire, le tableau et la mise en scène sont grandioses, avec le miroir immense :



C'est totalement magnifique.
Beleg découvre Flinding à Taur-na-Fulin (Silmarillion) : elle préfigure La Forêt de Grand'Peur. L'archer Beleg, part à la recherche de son ami Turin, découvre l'Elfe Flinding (Gwindor), évadé des mines de Melkor-Morgoth, le maître de Sauron.

   


... Le Pays des contes, une vaste carte où sont répertoriés tous les lieux et toutes les histoires imaginaires. Un petit bijou !



... L'épée scandinave du IXe siècle (comme dans Beowulf !) et le majestueux jeu d'échecs de Charlemagne du XIe siècle, en ivoire.

 


... la salle de l'Anneau, au décor grandiose

 


... le décor qui ressemble à la bibliothèque universitaire que fréquentait Tolkien (du moins j'imagine)

 

Le calendrier runique, sur une épée 



La religion - les Valar


Le Silmarillion contient un récit de cosmogonie original et marquant : dans l'Ainulindae, les Ainur (puissances créatrices) participent à la création du monde en musique, sous la direction du Créateur, Eru Eluvatar, nom elfique qui signifie "l'Unique, Père de Tout". Dès ce début, la volonté affichée par le Vala Melkor de jouer une autre partition, de créer sans se soucier de la communauté, annonce sa rébellion et montre que la relation entre le collectif et l'individuel constitue l'un des fils de la grande Histoire inventée par Tolkien, longue de milliers d'années.

Sinon, il est beaucoup question des Valar (dieux) dans l'exposition, notamment de Manwë (Taniqueti) : Halls de Manwë (Taniquetil), le plus puissant des Valar - du haut des montagnes :

 


Documents préparatoires de Tolkien


Ruines de Whitby Abbey, Yorkshire, dessinées par Tolkien : il a un sacré talent !


Une maison nordique


Le val du Sirion

 

D'autres

   

Conclusion


Tolkien s'est attelé à l'élaboration d'une oeuvre colossale formant un tout cohérent qu'il a appelé son Légendaire. Son goût pour les langues demeure l'origine de sa vocation d'écrivain : "Les langues et les noms ne peuvent être selon moi séparés des histoires. C'est pour ainsi dire, une tentative pour fournir un arrière-plan ou un monde dans lequel l'expression de mes goûts linguistiques pourrait avoir une fonction."

Depuis Le Livre d'Ishness, les cahiers émouvants du Livre des contes perdus (première guerre mondiale), l'oeuvre se poursuit jusqu'aux récits inachevés au moment de sa mort. Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux ne forment qu'une petite partie de l'histoire de la Terre du Milieu et sont compris dans une "mythologie" bien plus vaste dont tous les aspects (cosmogonie, géographie, histoire, linguistique, botanique, paléographie) ont été inventés par Tolkien jusqu'à les rendre vraisemblables.

"A la fin de la quête, la victoire ?"

Le Seigneur des Anneaux propose une anti-quête puisqu'il s'agit, pour la Fraternité, non de trouver l'Anneau, mais de se rendre au Mordor, lieu de sa création, pour le détruire, en résistant à son fatal pouvoir de séduction au fil d'un voyage de plusieurs mois à travers la Terre du Milieu. Tolkien réinvente et subvertit l'héritage médiéval du héros, de l'aventure et de la quête (le Graal).

Le fils à l'oeuvre


Sans Christopher Tolkien, son troisième enfant né en 1924, que connaîtrait-on de l'oeuvre de JRR Tolkien ? Premier auditeur du Hobbit puis relecteur des épreuves ; tour à tour copiste et cartographe pour Le Seigneur des Anneaux, un récit très largement écrit pour lui, et qu'il a aidé à voir le jour, Christopher est devenu l'exécuteur littéraire de son père - disparu en 1973.

A son tour membre des Inklings, maître de conférences à l'université d'Oxford, spécialiste de littérature médiévale (en particulier des sagas nordiques et de Chaucer), il quitte l'enseignement à 50 ans pour se consacrer à l'édition des milliers de pages manuscrites, rédigées durant 6 décennies par son père. Nombre d'entre elles sont surchargées de strates de textes de couleurs différentes : les classer, les déchiffrer, lui a demandé plus de 45 années, consacrées à faire paraître d'abord Le Silmarillion (1977) puis une douzaine de volumes présentant les œuvres achevées ou non, qu'ils a commentées en retraçant l'évolution de L'Histoire de la Terre du Milieu ; aux côtés de volumes d'essais (Les Monstres et les critiques), de traductions (Beowulf, Sire Gauvain) et de "contes" que sont Les Enfants de Hurin, Beren et Luthien, jusqu'à La Chute de Gondolin en 2018. Sans ce guide, philologue lui aussi, l'oeuvre de son père nous serait restée largement inconnue, comme un véritable labyrinthe de papier, ou une forêt inexplorée.

Tolkien à la librairie


Et pour prolonger le plaisir de cette belle et riche exposition, petit tour par la librairie :

  

 

Catalogue :


 

 

Cycle "La Fantasy à l'honneur"


Cette exposition s'est inscrite dans le cycle "La Fantasy à l'honneur" organisé par la BnF, qui compte de riches programmes :

- une soirée d'ouverture, réservée aux happy few dont j'ai eu l'honneur de faire partie grâce à Jérôme Vincent d'ActuSF
- "Construire des mondes - World building", conférence d'Erwan Le Breton et de Laurent Di Filippo
"Anthologie d'un genre littéraire", conférence d'Anne Besson sur la Fantasy






Et d'autres, comme :
(on peut les réécouter via des podcasts)

Impressionnant !



Création : 04/02/20

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