Il ne s'appesantit pas sur le script de son histoire – de ses histoires. Le synopsis lui parait toujours peu parlant, voire carrément absurde, et sans fausse modestie il critique également ses propres scénarios, celui de la Horde comme celui des Furtifs.
Par contre les thèmes abordés sont forts chez lui (comme normalement dans toute oeuvre qui se respecte). Les thèmes ici, c'est la société de contrôle, les technocrates, les gouvernements autant que les entreprises. C'est la vie privée et personnelle qui échappe au contrôle, à la surveillance ; qui échappe aux publicités ciblées et à l'intrusion du gouvernement qui flique les citoyens. Qui échappe aussi aux réseaux sociaux, géolocalisations, téléphones portables, pass Navigo, cartes bancaires traçables, etc.
Je dois dire que je trouve que Damasio est parano et excessif dans ces opinions-là. Le gouvernement nous surveille, ok : s'il nous surveillait tant que ça, les attentats n'auraient jamais lieu. Tout le monde s'accorde à dire qu'on ne peut pas surveiller correctement les milliers (20 000) de fichés S pour prévenir les attentats, et après les simples citoyens se plaignent d'être trop surveillés ? Allons donc. Un peu de sérieux et de lucidité, s'il vous plait. La police est beaucoup trop débordée pour surveiller tout le monde.
Quant à soutenir les actions de destructions des gilets jaunes, je trouve qu'il va beaucoup trop loin.
Je crois davantage dans la surveillance effectuée par les entreprises dans le but d'avoir le plus possible d'informations sur nous, pour nous harceler de publicités ciblées. Vu le nombre de coups de fil non sollicités, de spams, de publicités omniprésentes, oui, là, on est clairement dans une surveillance authentique (et limite hargneuse parfois).
Faut-il pour autant se débarrasser de nos portables géolocalisés (et donc se priver du confort du GPS ?), de toute la technologie qui permet certes de nous surveiller, mais aussi qui nous facilite grandement la vie ? Retourner vivre au XXe siècle en nous privant du confort du XXIe siècle, uniquement parce que certains essaient de retourner cette technologie contre nous ? Je pense qu'on peut profiter de ce que le XXIe siècle a à nous apporter, en gardant la tête froide par rapport à ces entreprises qui en veulent certes à notre argent, mais qui ne peuvent rien faire à part nous harceler si on refuse de se laisser embobiner par la pub. Donc, l'enjeu serait surtout d'être prudent pour transmettre nos données, de rester patient (aveugle et sourd) face à une pub inévitable, de dire non aux sollicitations, et d'arrêter de se pourrir la vie en mode parano.
Une autre chose me gêne dans ces propos sur la société de contrôle. Elle renverrait à une société technocratique du XXIe siècle, ce qui sous-entendrait qu'avant l'avènement de cette technologie, personne n'était ni surveillé ni contrôlé. Et là je m'étrangle un peu. Je peux vous présenter ma famille alsacienne, au fin fond des villages de la campagne : pas beaucoup de technologie (mon oncle et ma tante ne savent pas lire un mail), par contre au niveau surveillance et contrôle, ils sont au top. Ragots, commérages, coups d’œil à travers le rideau de la fenêtre, volets des voisins (oui, on surveille les volets des voisins pour vérifier à quelle heure ils osent se lever le week-end, c'est du vécu), curés et bonnes sœurs qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas ; je crois que la campagne aura tout fait pour mettre en place une surveillance digne des plus grandes dictatures. Le tout sans autre technologie qu'un téléphone fixe et un vélo (pour faire le tour des voisines tous les matins, c'est plus pratique). Donc, si on se balade dans tel endroit avec telle personne, le village entier le saura bientôt. Techno-contrôle, vous avez dit ? Le contrôle ou la surveillance sont une question de mentalité plus que de technologie, je crois.
Bon, je m'éloigne un peu des Furtifs. Au-delà du thème de la surveillance, on a aussi celui d'un père qui recherche désespérément sa fille disparue, et qui va entrer en contact avec une espèce vivante qui est sans commune mesure avec tout ce qu'on connaissait jusque-là. Ces êtres, les furtifs, auraient tout des extra-terrestres s'ils n'étaient pas plus anciens terrestres que les êtres humains. Le roman va donc s'attacher à les décrire, les caractériser, montrer quels types de contacts et de communications ils peuvent établir avec les humains. Ça, c'est de la belle SF comme on l'aime ! Enjeux humain et SF, que demander de plus ? Et on va sans doute en apprendre beaucoup sur nous-mêmes, grâce à ces
créatures qui nous emmènent si loin de nous-mêmes...
Et je suis toujours impressionnée par cette capacité de Damasio à travailler la langue et ses potentialités, à explorer de nouvelles pistes linguistiques, sonores et visuelles (les lettres, leur prononciation, leur graphie), poétiques, de nouvelles images, de nouvelles façons d'investir la page et l'objet livre et de se l'approprier. Il y a un courant qui s'appelle "l'art pour l'art", qui regroupe par exemple la poésie graphique (typographique, initiée par Stéphane Mallarmé en 1897) et la poésie visuelle (Calligrammes de Guillaume Apollinaire) : Damasio reprend cette recherche stylistique et visuelle, mais pour magnifier le sens de ses phrases, de son propos. Il parle de la Maison des feuilles aussi : c'est toujours cette volonté d'explorer le potentiel d'une page ou d'un livre, de ne pas se contenter de ce qu'on connaît déjà, de chercher d'autres possibilités de la littérature avant de se jeter sur le livre numérique. Damasio estime qu'on n'a pas encore fait le tour de l'objet livre, et je suis assez d'accord avec lui.
Et j'ai poursuivi la conversation avec un type complètement adorable, avec qui j'ai parlé Tolkien, les Chronolithes, le Trône de fer, et d'autres récits de fantasy qu'il m'a conseillés (Le Sorceleur). C'était vraiment sympa, cool et chaleureux. S'il avait davantage correspondu à mes goûts physiques, je lui aurais proposé qu'on se revoie ! C'est pour lui que je suis restée jusqu'à la fermeture de la librairie, et on s'est fait la bise en partant.
Très belle soirée donc ! :-)
Sito
Damasio :
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Usbek et Rica
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