SF ou fantastique ?

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SF ou fantastique ?

Les récits du monde d'après / #Festival des idées Paris 2020

Les récits du monde d’après

Festival des idées Paris –

5e édition : nouvelles normalités - 20 nov. 2020 –

https://www.youtube.com/watch?v=tz13EOeST3g

 

Les récits de fin du monde ne datent pas d’hier : virus, épidémies, armes nucléaires, astéroïdes, glaciation, planète de singes, vampires, zombies, monstres nés d’expérimentations hasardeuses… Rien ne nous a été épargné.

Pourquoi sommes-nous fascinés par les récits de catastrophes ? Ont-ils une influence sur notre perception du monde ? La pandémie actuelle pourrait-elle changer notre regard ?

Quels imaginaires pourraient l’emporter dans notre vision du futur ? Qu'est-ce que l'histoire nous apprend de notre futur et quels imaginaires pourraient l'emporter à la faveur de la pandémie ?

Une rencontre pour questionner les récits, images et idéologies qui façonnent nos modes de vie, pour le meilleur… et pour le pire.

 

Avec Jean-Baptiste Fressoz (historien des sciences, des techniques et de l’environnement, chercheur au CNRS, auteur notamment de "L’Apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique" au Seuil, "L’Événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous" au Seuil – avec C. Bonneuil, et "Les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècles" au Seuil – avec F. Locher).

Une rencontre animée par Jennifer Gallé, journaliste à The Conversation. - Plus d'informations sur www.festivaldesidees.paris  


Notes prises au fil de l'eau :

Comment en êtes-vous venu à ces sujets ?

Histoire du changement climatique, des savoirs climatiques, des catastrophes, l’histoire technique et technologique

Evénement anthropocène

Début des années 2000, est historien de la sociologie des sciences et des techniques. Beaucoup de travaux sur le risque : période de découverte des questions des risques et de l’environnement. Un bouquin dit que la modernité du XXE XXIe a changé de nature, est passée de « simple » à « réflexive ». On remet en question la dynamique de la modernité.

Est allé voir en tant qu’historien dans les archives du XIXe siècle parce qu’il pensait que c’était faux, cette idée du changement de nature de la modernité. Et il a trouvé que non, dans les siècles précédents, il y avait aussi cette omniprésence de la question du risque et de l’environnement. Cette « nouvelle » conscience écologique n’est pas nouvelle du tout (moi : La Mort de la Terre).

 

Quels récits des catastrophes futures ? Comment les crises façonnent les récits, l’imaginaire ; ou comment les imaginaires façonnent les crises ?

« Il faut construire des récits alternatifs » : on est déjà pris dans un récit, celui du progrès, de la solution technologique. C’est le récit des dominants, mais pas forcément accepté par la masse.

Le monde technique est tout le temps très vite transformé, c’est le récit de l’innovation qui est très présent. Ça remonte à la fin du XIXe siècle, notamment avec le début de l’électricité. On a l’impression sans arrêt qu’on entre dans un nouveau monde qui efface l’ancien. « L’âge de l’électricité », « l’âge du pétrole ».

Se met ainsi en place un récit très centré sur les techniques, pas sur la matérialité réelle économique et sociale, un récit qui donne l’impression d’une grande fluidité, qui va devenir le discours de la transition, qui est le mot-clef pour parler des solutions à la crise climatique.

La crise des années 30 aux EU est fondamentale aussi parce que les technocrates pensent qu’il faut une transition pour sortir de la crise, pas encore énergétique, mais il y a l’idée que c’est un problème technologique et qu’il faut gouverner différemment le monde des techniques parce que c’est l’origine de la crise.

La transition va s’imposer aussi au moment de la crise pétrolière, après 1973. Décision EU de lancer une autre transition énergétique pour résoudre la question du pétrole. Des gens pensent le futur de l’énergie, des techniques, c’est la futurologie : leur discours va être appliqué sans critique à la question climatique. C’est le discours de la transition énergétique, qui va trop simplifier le défi climatique environnemental.

Mais le discours de ceux qui pensent que tout va s’effondrer ? Comment expliquer son succès ?

Ce discours était déjà là en 1930. Et la transition paraît du coup d’autant plus indispensable, inévitable.

La transition actuellement, c’est l’idée qu’on peut changer drastiquement les soubassements matériels de la société sans trop changer les formes sociales et politiques, les modes de vie. C’est pour ça que c’est une solution technologique.

Ce qui semble très problématique, pour ce qui est de la collapsologie (effondrement), origine fin XVIIIe siècle, ça émerge comme un discours de gouvernement. L’enjeu est de menacer les populations pour qu’elles agissent d’une certaine manière.

A la fin du XVIIIe en France, un grand débat sur le changement climatique anthropique, lié surtout au déboisement. Pendant la Révolution française, le gouvernement utilise ce discours pour dire aux paysans qu’il faut respecter les forêts, l’ordre naturel. Les paysans veulent profiter de la révolution pour récupérer les communs forestiers dont ils avaient été privés. Cela horrifie les parlementaires parisiens. D’où la construction d’un discours semi-savant à destination de la population. Les impérialismes européens de l’époque tiennent tous ce discours. Ils montrent les pays du Maghreb comme l’exemple de pays n’ayant pas su géré leur environnement, avec un déclin de leur civilisation (cités brillantes maintenant disparues sous le désert, Palmyre, Babylone, les villes des textes antiques).

Se met en place un discours romantique de l’effondrement, de la ruine. Ça ne va jamais disparaître du discours environnemental.

Au début du XXe siècle, discours néo-malthusien, matrice très importante de tropes, de techniques, de savoirs, sur l’environnement, utilise aussi cette idée du collapse environnemental.

Années 80-90, quand on commence vraiment à parler du changement climatique dans l’espace public, l’alerte climatique va être utilisée par le complexe militaro-industriel américain, par la sécurité nationale, pour dire que le climat est un risque de sécurité. C’est réinterprété au bénéfice de la sécurité nationale. C’est le grand défi après, par exemple, l’union soviétique. Le chaos climatique, avec des hordes de réfugiés qui vont déferler sur les pays du Nord. Des think thank et des conseillers en sécurité vont en profiter.

En France, c’est plutôt arrivé avec les activistes et penseurs de gauche. On a perdu le côté un peu réactionnaire de ce discours.

 

Innocuité politique de ce discours de l’effondrement : il nous promet une sorte d’apocalypse qu’on est obligé d’attendre en essayant d’aménager cette attente. Mais on ne peut rien y changer.

Le discours de l’effondrement de la civilisation industrielle est problématique, mais l’effondrement climatique est malheureusement très scientifique. C’est porteur d’affects mobilisateurs. Il faut comprendre les récupérations qui peuvent être faites de cette passion de l’effondrement, dangereuses pour les questions d’immigration, de repli sur soi. Manque de perception que l’enjeu n’est pas qu’un effondrement global, mais aussi le caractère extrêmement injuste de cette situation, pays du Nord et pays du Sud. Les riches qui sont responsables du changement climatique ne sont pas les premiers affectés par cette crise.

Le discours trop englobant et unifiant dépolitise la question environnementale, plutôt que l’absence de toute mobilisation politique.

 

Le mouvement « extinction rebellion » ?

Ils appellent un chat un chat. La gravité de la situation sur le front climatique, l’extinction des espèces, la biodiversité est telle qu’il faut agir vite.

20 min

Il faut nommer des responsables. D’où des actions choc devant des sièges à la Défense.  L’écologie divise, est clivante, on évoque la sécurité nationale. Dans une transition écologique, il y aura des perdants, et on en fera sans doute partie d’une certaine manière. C’est un mouvement d’écologie politique.

 

Revenons sur la notion de transition : elle nous masque les problèmes ? C’est une position confortable ?

Critique historique sur cette notion de transition : elle émerge de la futurologie énergétique, c’est très net à la fin des années 60, ceux qui se préoccupent du futur de l’énergie américaine pour réduire la part du pétrole. C’est rétroprojeté par les historiens qui disent que dans le passé il y a eu des transitions énergétiques. On est passé du bois au charbon, puis du charbon au pétrole. Le problème avec ce récit, c’est qu’il nous donne l’impression que la transition se situe dans la lignée de 2 siècles de développements économiques, scientifiques et technologiques. Cette vision est fausse car historiquement ce n’est pas ça qu’on a vécu. La consommation de bois et de charbon continue à exploser aujourd’hui alors qu’on est censé être passé au pétrole. Plus on utilise le charbon, plus on a besoin d’utiliser du bois. Pendant longtemps, la consommation de pétrole a augmenté la consommation de charbon. Ne serait-ce que parce que pour faire une voiture, il faut beaucoup de charbon. Ce récit repose sur une vision beaucoup trop simpliste et linéaire. Mais c’est très présent dans l’historiographie. C’est percuté par des travaux d’écologie sociale par des gens qui quantifient la matière consommée par l’économie, qui racontent une histoire très différente : toutes les matières premières croissent depuis au moins un siècle. Et ça remonte sans doute à bien avant.

Le nombre de matières premières et leur quantité ne font que s’accroître. L’idée de transition n’a aucun fondement historique. Et ça projette sur un futur fantomatique un passé qui n’existe pas.

Il n’est pas futurologue et il pense que c’est important de sortir du discours futurologique. Il y a souvent des annonces fracassantes dans la presse sur le solaire ou l’éolien qui vont remplacer les énergies fossiles, mais les chiffres sont clairs : on n’a jamais consommé autant d’énergies fossiles. On a des promesses techno-scientifiques, mais la réalité, ce n’est pas ça. La presse donne beaucoup plus écho aux bonnes nouvelles qu’aux mauvaises sur ce sujet.

Et la question de la sobriété ? Il ne faut pas transformer, il faut juste moins consommer, avoir moins recours à toutes ces énergies et matières ?

Je n’ai pas un discours technophobe : il faut les 2. La critique des techniques doit autant critiquer les anciennes techniques que les nouvelles. Ce n’est pas un discours contre le progrès, dilemme dans lequel le gouvernement aimerait nous enfermer.

C’est évident que c’est les 2 qu’il faut faire : la sobriété (urgente et essentielle) et la transformation.

 

L’histoire nous aide à éclaircir notre situation, mais comment faire à l’avenir ?

Repenser à ces dynamiques que j’ai expliquées : les énergies ne se remplacent pas les unes les autres, non pas transition mais accumulation, symbiose. L’histoire peut nous prémunir contre des visions trop simples. On utilise le mot « transition » pour paraître pertinent dans l’analyse historique des défis contemporains. Mais ça raconte une histoire très bizarre. Et pour l’historien, il vaut mieux ne pas parler du futur, je pense que ce n’est pas une très bonne idée.

Après, il y a des choses pas inintéressantes quand on lit l’histoire de l’énergie, par exemple le rôle de la consommation. Il est évident que si on veut gouverner la production d’énergie, il faut gouverner les usages de la consommation. Si vous prenez l’histoire de l’énergie, c’est pas parce qu’on a beaucoup d’énergie qu’on se met à utiliser des techniques, c’est l’inverse. C’est la voiture qui crée les champs de pétrole, c’est la lampe à filament qui crée les centrales électriques. Donc il faut vraiment gouverner les usages, et parler moins des techniques et davantage des consommations.

Quand on regarde l’Histoire, les grands phénomènes qui nous ont mis sur le chemin de l’abîme, ce n’est pas des changements auxquels la population tenait. Par exemple l’automobile, qui a joué un rôle très important dans l’Anthropocène, dans la crise climatique, l’automobile c’est pas du tout quelque chose dont les gens rêvaient, au départ. C’était une nuisance. On a du mal à imaginer la haine que les gens du peuple éprouvaient contre ces choses réservées à l’élite. Jusqu’en 1930.

On a donc hérité de choix pas forcément rationnels, optimaux, à la fois au niveaux techniques et environnementaux. Donc oui, on peut se défaire de ce genre de technologie. Il n’y a pas UNE solution.

 

La question du modèle économique de croissance ? Après le covid, on va pouvoir repartir, reprendre l’avion, etc ? Avancer, croître, se développer ? A-t-on autre chose pour nous motiver que cette idée de croissance, de se développer ?

L’idée que la croissance est quelque chose de temporaire est un lieu-commun dans la pensée économique hétérodoxe. C’est très banal. Tous les conservateurs pensaient que la croissance qu’on a vue depuis la fin du XIXe siècle est exceptionnelle. La crise de 29 est perçue par beaucoup d’économistes, non pas comme un cycle économique qui se retourne, mais comme une crise fondamentale liée au manque de ressources, à la surproductivité des machines, que c’est vraiment un phénomène technologique crucial et qu’il faut réinventer complètement le système. Donc une idée banale : on peut faire décroître un système technique, ce n’est pas quelque chose d’impensé, loin de là. Dès qu’on a du recul historique, on voit que c’est assez fréquent dans l’histoire et qu’il y a eu des rationnements (par exemple pendant les guerres).

Ça n’est pas forcément négatif : le rationnement alimentaire pendant la guerre a amélioré la santé des Anglais. Une meilleure distribution de légumes pour les pauvres, une alimentation plus équilibrée. C’est mesuré par les nutritionnistes. Ça s’est aussi amélioré pour les classes populaires. Quand toutes les automobiles ont été réquisitionnées pour l’effort de guerre, ça n’a pas produit un effondrement de l’économie américaine, au contraire.

On a tendance à penser que l’économie est absolument intangible, que la croissance est un dogme : non, on voit bien, comme au moment du covid, que quand les 2/3 des gens cessent de travailler, ça ne produit pas un effondrement de l’économie. La crise montre aussi la flexibilité dans les pays riches, le fait qu’on peut décroître assez conséquemment sans atteintes fondamentales.

 

On peut décroître, mais c’est temporaire. L’idée, c’est que ça va prendre fin, et qu’il va y avoir un effet rebond.

Je ne suis pas entièrement d’accord avec cette objection parce que les activistes écologiques les plus radicaux n’ont jamais dit qu’il fallait confiner les gens, et pourtant ça a été fait, c’est bien la preuve que des transformations des modes de consommation assez drastiques sont possibles, ce sont des décisions que les gouvernements peuvent prendre, des décisions qui ont été prises.

C’est sûr que c’était temporaire, maintenant il va falloir produire quelque chose sur la longue durée. Il faut décarboner très très vite l’économie avant 2050. Sinon on va avoir de très gros soucis, peut-être pas l’effondrement, mais des choses très graves, surtout pour d’autres pays que l’Europe.

Mais on pourrait très bien imaginer, rationner, quitte à ce qu’il y ait de nouvelles technologies dans le futur, redécouvrir d’autres formes de consommation. On pourrait ouvrir l’imaginaire politique des gens là-dessus.

 

Crise du covid : pédagogie de la crise : ça nous montre des choses, des possibles ? il est possible de consommer autrement ? Est-ce que dans l’Histoire des crises ont pu avoir des effets positifs que se prolongent ? Est-ce qu’on a appris des crises ?

On n’a jamais vécu ce qu’on a vécu pendant le covid. On a vécu des épidémies autrement plus dévastatrices, on a vécu des catastrophes autrement plus graves. Mais arrêter volontairement une bonne partie de l’économie pour sauver quelques centaines de milliers de vies, ça c’est vraiment du jamais vu, donc c’est difficile de dire l’effet que ça peut avoir.

Est-ce qu’on apprend des crises ? Oui, en permanence, mais on apprend plutôt dans le mauvais sens en général : le siège de Paris en 1870, on a appris à consommer autrement. Les crises, c’est les moments où on change les modes de consommation, de manière temporaire mais les effets peuvent durer.

De manière générale, je n’aime pas toute forme d’analogie ou de transposition historique. Ce qu’on a vécu, je ne crois pas qu’il y ait de précédent ou d’analogies possibles. Le choix d’arrêter comme ça en partie l’économie pour sauver un nombre assez limité au fond de vies, c’est vraiment du jamais vu.

 

Est-ce que cette « nouvelle normalité » qu’on est en train de vivre, est-ce que c’est une transition permanente, ou une série de catastrophes qui se suivent ?

La « nouvelle normalité », ça va être les canicules, les inondations, etc. Ce n’est pas un effondrement, c’est plein de risques qui sont exagérés, augmentés, etc. La « nouvelle normalité » de l’Anthropocène, ce n’est pas une crise, qui est un phénomène temporel bref, c’est une nouvelle condition historique et géologique. Il faut apprendre à vivre avec les catastrophes qui s’accroissent, à vivre de façon plus égalitaire, dans un monde où les catastrophes de fait sont très discriminantes, en fonction de votre classe sociale. Des enjeux de redistribution. Justice climatique, justice sociale.

 

 

Création : 20/11/2020

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