Aux confins de l'imagination
Science-fiction, merveilleux, fantastique - un blog sur les événements et créations de l'imaginaire
SF ou fantastique ?
Le Labyrinthe de Pan (pour Halloween 2023 !)
Pandemonium, à l'Etrange festival
Creep (Colo Panic Cinéma ! Forum des Images)
La Colo Panic! Cinéma, au Forum des Images. Carte blanche à François Descraques.
https://youtu.be/Gp7tBypjwDo
https://www.forumdesimages.fr/les-programmes/la-colo-panic-cinema-2023/creep
Avec Patrick Brice, Mark Duplass
Fiction l États-Unis l vostf l 2014
77 min l Couleur l Cinéma Numérique 2K
Found footage.
Atteint d’une tumeur au cerveau, Josef fait appel à Aaron, un jeune réalisateur, pour filmer ses derniers jours.
Il vaut mieux en savoir le moins possible pour apprécier totalement Creep, petite pépite écrite et interprétée par Patrick Brice et Mark Duplass. Deux acteurs (par ailleurs scénaristes du film), un lieu unique, le tout filmé en mode found footage : en dépit d’une économie de moyen savamment dosée, le duo fait preuve d’un talent certain pour faire monter le trouillomètre. Une merveille, inédite en salle chez nous, qui fut suivie d’un second épisode, en attendant impatiemment un troisième récemment annoncé…
« Creep, c’est un two-men show dont un qui tient la caméra. Une comédie horrifique haletante filmée au caméscope dans une maison. Le meilleur film rapport qualité prix. » — François Descraques.
Le descriptif en dit peu, et il a bien raison : moins on en sait dès le départ, mieux cela fonctionne.
[Spoilers]
Tout est faux dans ce film, et il vaut mieux le découvrir au fur et à mesure de l'histoire !
On découvre cette histoire en même temps que l'un des deux personnages, Aaron, celui qui tient la caméra. On s'identifie à lui, car c'est à lui que les choses arrivent, et parce que ses réactions sont les nôtres. On SAIT qu'on réagirait exactement comme lui, nous sommes lui, lui est nous, c'est-à-dire quelqu'un de lambda et de normalement constitué, et on rit tellement ses réactions sont les nôtres.
On ne le voit pas réellement car il est derrière la caméra presque tout du long, mais on entend sa voix – donc ses intonations, et on ressent toutes ses réactions grâce aux mouvements de la caméra, et ça, c'est vraiment très très bien fait. C'est un modèle de caméra subjective que ce film nous donne. Un plaisir. La technique bien maîtrisée, ça permet de faire des choses chouettes !
L'autre personnage, Josef, qui veut garder une trace de ses derniers moments, mérite un article à lui tout seul. Dès les premières minutes du film, il se montre sous un jour extrêmement sympathique, chaleureux, débonnaire, débordant de de vie. Et parallèlement, il est mis en scène de manière inquiétante, comme si le réalisateur tentait de nous prévenir dès le tout début qu'on doit se méfier de lui.
Et c'est là le génie du film, ce jeu sur les codes du film d'horreur à la Scream : le réalisateur joue avec nous, avec nos réactions et nos questionnements. Josef est-il réellement dangereux ? A quoi s'expose Aaron exactement ? Josef est montré comme dangereux, mais il se montre sympathique, et après tout sur quoi peut-on se baser pour être sûr qu'il est dangereux ? Tout est une question de mise en scène, de propos innocents mais rendus volontairement ambigus par le réalisateur, de scènes qui ne sont inquiétantes que parce que le réalisateur a décidé de jouer avec nos nerfs. Autant dire que tout cela fonctionne à fond.
Ce double jeu provoque une grande hilarité. Le film est décrit comme une comédie horrifique, et je suis bien d'accord. On rit du début à la fin, parce qu'on est pleinement conscient du jeu sur les codes de l'horrifique, et parce qu'on est totalement avec Aaron qui ne sait pas trop quoi faire face à cette expérience on ne peut plus bizarre.
La fin est un peu excessive à mon goût, j'aurais préféré que l'intégralité du film se déroule dans le châlet à la montagne, mais sinon le mélange de trouille et de rigolade fonctionne jusqu'à la fin, et c'est vraiment sympathique.
Barbie
J'avais entendu parler de la réalisation de ce film, je me suis dit "Mais ça fait pitié, c'est quoi cette idée ridicule ?".
J'ai ensuite vu quelques images, comme Ryan Gosling en costume de Ken, et je me suis dit "Mais il a perdu un pari stupide, ou il aime juste se ridiculiser en mode masochiste ?"
J'ai ensuite vu davantage d'images, et je me suis dit "Putain, ça fait mal aux yeux, toutes ces couleurs fluos !"
Et puis j'ai lu beaucoup de commentaires, beaucoup de
retours... Ce film a littéralement envahi mon Twitter. Et j'ai vu beaucoup de
femmes dire qu'elles avaient aimé et que ce film est féministe, j'ai vu
beaucoup d'hommes dire qu'ils n'avaient pas aimé et qu'ils étaient choqués de
voir que Ken était traité comme un accessoire (tiens, tiens, ça fait bizarre
quand on n'a pas l'habitude !). La droite et l'extrême-droite se sont beaucoup
manifestées pour dire à quel point elles étaient scandalisées et que ce film
voulait détruire le couple, les hommes, la famille, les bébés, le "rôle
naturel de la femme". La gauche rigolait devant les réactions un peu
outrancières de la droite, et disait son bonheur de voir un film comme ça, qui
se démarquait vraiment de ce qu'on voit d'habitude.
J'avais de plus en plus envie de voir ce film, pour me faire
ma propre opinion, et pour donner une entrée supplémentaire à ce film pour
emmerder les mascus (soyons honnêtes).
Et puis il a commencé à y avoir une comparaison, puis une
concurrence, une très forte concurrence, entre Barbie et Oppenheimer, qui sont
sortis à peu près en même temps, par le hasard du calendrier. Beaucoup
voulaient donner plus de visibilité, plus de qualité, plus d'importance à ce
film, pour tenter d'invisibiliser Barbie.
Au début, je n'avais clairement pas envie de voir Barbie (je
pensais que c'était du Toy's Story en encore pire), et Oppenheimer me
paraissait tentant (j'aime Nolan et le sujet m'intéresse bien) sans que j'aie
spécialement envie de me déplacer au cinéma.
Et bien toutes ces réactions m'ont décidée : je suis allée
voir les deux !
Alors Oppenheimer : très bien, plus compréhensible que les
autres films de Nolan, assez onirique car on est dans la tête d'Oppenheimer qui
est brillant et qui va quand même très loin. L'horreur de la bombe atomique et
le contexte particulier de sa création sont bien construites dans ce film, même
si ce n'est pas un documentaire historique bien sûr. Je le reverrai avec
plaisir.
Et puis Barbie. Alors là, strictement aucun point commun avec
Oppenheimer. Donc c'était bien ce que je pensais : l'acharnement à comparer les
deux n'était vraiment qu'un prétexte pour tenter d'assassiner Barbie.
Franchement, c'est une attitude ridicule. De toute façon, ce n'est pas l'un ou
l'autre, ce n'est ni l'Eurovision, ni la Palme d'or. On peut voir les deux, on
peut aimer les deux, on n'est pas obligé de choisir.
C'est bien mon cas. J'ai aimé les deux. Une préférence pour
l'un des deux ? Non, pas vraiment, et de toute façon, quel intérêt ?
Oppenheimer a plein de qualités, mais Barbie tranche et se
remarque, non en raison de ses qualités intrinsèques, mais pour son
positionnement dans notre contexte politique, social, familial, sexuel, genré.
Comme j'ai dit à mes collègue, Barbie, c'est le patriarcat
expliqué aux moins de 12 ans.
L'univers est bel et bien Barbie : un univers de petites
filles bien cliché, avec du rose et du fluo, des dialogues et des situations
"bébé". Et à partir de là, la réalisatrice explique et dégomme tout :
la situation des femmes qui ont le pouvoir et l'omniprésence alors que les
hommes n'existent que comme plantes vertes (serait-ce un renversement des rôles
que l'on connaît dans la réalité ?...), les injonctions à être féminine (les
pieds soudainement plats alors que les pieds des poupées Barbie sont cassés
pour les talons aiguille – j'ai hurlé de rire en voyant ça, tout comme le reste
du public), les hommes du monde réel qui ont commercialisé Barbie pour
s'enrichir mais qui ne veulent surtout pas qu'elle s'émancipe... C'était
tellement drôle et ça ciblait tellement juste ! C'était à la fois premier degré
(le monde de Barbie) et second degré (la critique du patriarcat grâce au
renversement de situation, via le regard de la Barbie originelle qui ne
comprend pas que le monde réel ne soit pas contrôlé par les femmes comme dans
son monde à elle – elle est choquée et c'est juste énorme).
Donc des punchlines d'apparence simplistes (Barbie, le
patriarcat expliqué aux moins de 12 ans...) mais en fait très bien trouvées.
"Je me sens dévisagée, réduite à un objet, c'est la première fois que ça
m'arrive, c'est horrible", dit Barbie quelques minutes à peine après être
arrivée dans le monde réel. Mais oui, c'est tellement ça... Et c'est dit dans
un film hollywoodien que plein de gens ont regardé. C'est génial.
Evidemment, ce film n'est pas parfait – mais quel film est
parfait ? Oui, c'est une opération géante de publicité pour Mattel (après, on
n'est pas non plus obligé d'acheter les poupées, même si on a aimé le film).
Oui, c'est fluo, rose à paillettes, et simpliste.
Je crois que les brillantes analyses philosophiques,
sociologiques, politiques, etc, ont oublié un truc : c'est BARBIE ! Vous savez,
les poupées des petites filles, qui sont historiquement roses à paillettes
parce que la société en a décidé ainsi. Et le film consiste en grande partie à
dégommer cette pression sociale. Vous pensiez voir un film gothique ?
Et oui, c'est simpliste, vu que c'est à la base l'univers de
PETITES FILLES ! Vous pensiez voir un documentaire ou un film d'art et d'essai
?
Ce film part de l'univers Barbie et le met sens
dessus-dessous. C'est ça qui est chouette.
Et le titre devrait quand même mettre la puce à l'oreille.
Par contre, la place de Ken à la fin... Pour une fois qu'on a
un film de femmes, sur les femmes, avec des femmes, qui n'en n'ont rien à
foutre des hommes. Laissez-le nous. Ça fait du bien aussi. On a eu droit à
l'inverse pendant si longtemps. Alors on peut quand même se permettre de faire
sans Ken, pour cette fois. Dégagez-le. Sérieusement. Voilà.
Il faut que je revoie la fin. Elle a l'air intéressante.
Création : 01/08/2023