Un long roman de Jaworski, entièrement écrit à la première personne du singulier : c'est notre Don Benvenuto Gesufal, déjà rencontré dans les nouvelles du recueil
Janua vera, qui s'exprime et raconte son histoire, en même temps qu'il raconte la guerre, une tranche de vie de la République de Ciudalia.
Le style est soutenu, malgré le langage de matamore de Benvenuto qui ne vient pas de la haute société. Il y a donc un mélange d'expressions ordurières et de langage riche et soigné qui crée en quelque sorte la marque de Benvenuto, voire la marque de l'auteur.
Benvenuto, malgré sa gouaille, son intelligence retorse et son don pour sentir les pièges, va se retrouver manipulé par une série de personnages qui tirent les ficelles de Ciudalia. Le personnage du Podestat Léonide Ducatore se place ainsi au centre d'un noeud politique et économique qui forme le coeur caché du roman. La distribution de l'intrigue et des personnages évoque une partie d'échecs où Benvenuto ne serait guère plus qu'un pion, et où on comprend que chaque coup de l'adversaire, qu'on pensait inattendu et mortel, avait en fait été depuis longtemps prévu voire provoqué, et dont les conséquences sont maîtrisées de main de maître. Et le lecteur de se faire avoir, à la suite de Benvenuto.
La République de Ciudalia, c'est la République romaine de l'Antiquité, avec son Sénat, ses consuls (les Podestats), son Jules César (Léonide Ducatore) qui à la faveur d'importantes victoires militaires cherche à conserver sur sa personne toute la gloire de la République, et au moyen d'un coup de poker (prétendre s'effacer humblement de la vie politique pour ensuite se faire solliciter face à une situation de crise et revenir en maître incontesté), veut ni plus ni moins que le pouvoir absolu entre ses mains, quitte à faire de la République une royauté ou un empire. Tout lui sera bon pour atteindre cet objectif, quitte à provoquer lui-même les crises dont il compte profiter.
Par-dessus ce fond inspiré de
l'Antiquité, on peut aussi voir des influences de notre Moyen-Age occidental, surtout dans les vêtements et armes des gens, et aussi dans la guerre contre Ressine qui fait furieusement penser aux Maures contre lesquels se battaient les Croisés. Enfin, le comté de Bromael (breton ?) est lui aussi clairement inscrit dans une influence médiévale, avec ses comtes et ses chevaliers.
Et c'est dans ce contexte qu'on suit Benvenuto dans ses aventures qui relèvent bien souvent de tortures subies et de tentatives de survie dans des prisons ou dans la traversée de contrées particulièrement hostiles. Ce roman donne l'impression qu'en compagnie de Benvenuto nous nous sommes infligés une série quasi continue de coups, de famine, de blessures sévères voire mortelles, de froid, sans compter les manipulations psychologiques. A la fin, on a envie de dire : stop ! Laissez-nous respirer un peu.
Gagner la guerre, c'est bien plus que remporter une victoire maritime, aussi éclatante soit-elle. Gagner la guerre, c'est se partager le butin entre gagnants, c'est gérer ce butin à long terme, c'est neutraliser ses ennemis dans la durée.
Gagner la guerre, c'est éliminer ses rivaux – tous ses rivaux, internes et externes, et c'est choisir quand, comment, où les éliminer. Gagner la guerre, c'est aussi savoir qui va réellement la gagner : la République ? Le Sénat ? Le Podestat ? Une famille noble ? Un seul homme ?...
Création : 30/01/2016
MàJ : 30/05/2016
MàJ : 30/05/2016
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