Des déclencheurs
Tout cela a cogité dans ma tête, je pensais à l'oeuvre d'envergure qu'était Dracula,
je pensais au fantastique que j'ai toujours beaucoup aimé (j'ai eu
une période gothique légère quelques années après), et j'ai
pensé au loup-garou, le mal-aimé des récits fantastiques, le
parent pauvre des histoires de vampires, la créature qu'on pense mal
finie, pas intéressante, pas assez riche au niveau mythique pour
fournir une matière substantielle à l'imaginaire, à la fiction, à
l'inconscient humain qui au fond est en jeu dès qu'il s'agit de
littérature, d'art, de fiction, et plus spécifiquement de
fantastique car c'est le genre de prédilection pour exprimer ses
peurs et ses non-dits.
Un mythe sous-exploité
Je n'avais pas d'autres informations sur le mythe du loup-garou, pas plus que d'autres amateurs de vampires et de littérature fantastique, mais j'avais l'intuition que quelque chose de plus important, de plus essentiel se cachait derrière cette « malheureuse bestiole toute moche qui mord et qui est incontrôlable et dangereuse ».
Même la série Buffy
contre les vampires, qui est pourtant le grand amour sériphile
de ma vie (à égalité avec Dr Who), avec des vampires et
autres créatures de la nuit très réussies, très profondes, ne
fait pas du loup-garou quelque chose de subtil et nuancé, quelque
chose à creuser. Le personnage d'Oz est intéressant parce que bien
construit, pas parce que le mythe du loup-garou est bien développé.
On a la thématique manichéenne Bien-Mal, comme pour les vampires, mais chez eux c'est très nuancé et développé (Spike), alors que ça ne l'est pas pour le loup-garou.
On a la thématique manichéenne Bien-Mal, comme pour les vampires, mais chez eux c'est très nuancé et développé (Spike), alors que ça ne l'est pas pour le loup-garou.
C'est de la discrimination !
Je m'insurge.
D'ailleurs, en parlant de Dr Who,
que j'ai découvert bien plus tard que Buffy, il y a aussi au
moins un loup-garou dedans, et il est aussi raté que dans Buffy.
Ô vous les créateurs de séries et d'univers, les artistes, les
créatifs, s'il vous plaît, ne sabrez pas ces mythes qui sont d'une
richesse incroyable, faites des recherches, ne vous contentez pas des
3 premiers clichés que tout le monde connait, allez au fond des
choses, donnez leurs lettres de noblesse à tous ces mythes que vous
réutilisez, vos œuvres en gagneront en qualité et votre public en
reconnaissance et en fidélité.
Horrible, non ? |
Ceci est un appel à valoriser notre
patrimoine culturel imaginaire, fictionnel et mythique. Car nos
mythes ont un sens, un sens très important même si souvent oublié,
et cela compte plus que l'on s'imagine. Notre psyché le sait et nous
les réclame, même si nous ne l'écoutons pas toujours beaucoup.
Mon écriture, mon histoire, ma bataille
Donc je me suis lancée dans l'épopée de l'écriture d'une histoire différente des autres histoires de loups-garous, une histoire qui cherche à remonter au fond mythologique de cette légende, qui veut lui redonner tout son potentiel mythique, fictif, psychanalytique. J'ai voulu faire pour le loup-garou ce que Bram Stocker a fait pour le vampire. En toute modestie.
Et puis, après tout, pourquoi pas ?
Je sais écrire, j'écris bien, on me le dit depuis toujours, j'ai
des idées, j'aime écrire des histoires, je ne pense pas être
forcément plus nulle dans ce domaine que certains écrivains publiés
qui ne sont pas non plus des monstres sacrés de la grande
littérature mais qui prennent plaisir à écrire, qui font plaisir à
leurs lecteurs, et qui apportent eux aussi leur pierre à l'édifice
de la création, des idées et de la fiction.
Tout le monde n'est pas Yourcenar, mais
est-il besoin d'être Yourcenar pour apporter quelque chose, pour
créer, pour contribuer à la culture ?
J'espère que non.
La genèse du mythe avant celle de mon roman
Tout en cherchant des idées, tout en cherchant à mettre de l'ordre dans toutes mes idées, souvent foisonnantes et incompatibles entre elles, tout en cherchant à comprendre ce que je voulais dire dans cette histoire, je me suis aussi lancée dans des recherches sur la mythologie du loup-garou, sur la genèse pluri-séculaire et multi-origines de cette créature qui au final est si peu connue aujourd'hui.
J'ai même créé pour cela un site
Internet, qui s'est transformé en blog parce que je ne maitrisais
pas trop mon Google site, alors que je m'en sors plutôt pas trop mal
avec les blogs de Google, jugez plutôt :
- http://auxconfinsdelimagination.blogspot.com/search/label/Les%20Loups%20de%20Thornwall
- https://loupgarou-double.blogspot.com/
Je n'y consacre pas tant de temps que
ça, mais un de mes souhaits était à terme de créer un site ou
blog qui fasse référence dans ce domaine, qui crée de la
vulgarisation scientifique et populaire sur ce mythe mal aimé car
mal connu. Je ne sais pas encore ce que ce projet donnera.
Ma façon d'écrire, de créer
Et tout cela alors que j'ai d'autres choses dans ma vie, bien sûr : les études, puis la vie professionnelle, les déménagements, les voyages, les séries TV...
J'écris depuis toujours, mais je n'ai
pas une façon d'écrire très productive, dans le sens où je
n'écris pas souvent (je suis vraiment très loin d'écrire tous les
jours), mes journées de grande production sont de deux ou trois
heures sur une journée où je ne fais que ça et où j'écris deux
ou trois pages grand maximum, j'ai besoin d'être dans ma bulle pour
y arriver, j'ai besoin d'énormément de concentration et d'avoir
déjà la scène en tête (au moins le début) avant de commencer à
l'écrire, sinon c'est l'angoisse de la page blanche assurée (bon,
ça n'est pas vraiment une angoisse, parce que je n'écris pas pour
vivre, mais c'est une page blanche sans le moindre doute). Sans
compter que je ne reste pas sur une première version, rarement sur
une deuxième, et que mes périodes d'écriture sont souvent plus de
la réécriture que de la création pure. Tout cela fait qu'en 15 ans
j'ai réussi à écrire une grosse centaine de pages Word, ce qui à
première vue n'a rien d'un exploit.
En fait, techniquement, j'en ai écrit
peut-être le double, mais une grande partie était à jeter car elle
n'allait pas avec la base du roman – j'ai fait un énorme bond en
avant dans la cohérence et la structure de mon histoire lorsque j'ai
décidé de sabrer certains passages dont je n'arrivais rien à
faire. C'est étrange de faire ça, au début ça crée un vide et on
regrette, puis on se rend compte qu'on se sent plus léger, comme
débarrassé de poids morts, et on peut repartir du bon pied, sur des
bases nouvelles, plus propres et plus solides.
Donc voilà, 130 pages propres en
quinze ans, avec une prose extrêmement travaillée, relue,
décortiquée, avec des recherches de synonymes et même l'emploi de
termes que je ne connaissais pas et que j'ai découverts dans le
dictionnaire des synonymes (mon ami pour la vie). Sans compter un
travail sur la ponctuation et la mise en page / structure (sauts de
ligne etc) que vous n'imaginez même pas. J'ai une manière de
travailler mes textes qui vise la qualité plus que la quantité, qui
fait de la dentelle délicate plus qu'une multitude de
rebondissements. Je n'ai rien contre les auteurs et les textes qui
misent plutôt sur une écriture de type commerciale, j'aime beaucoup
Stephen King, mais quand j'écris, j'ai une démarche de type
Lovecraft (sans vouloir me comparer à lui en terme de qualité du
résultat final) : j'écris peu, mais j'hésite sur chaque mot,
je veux créer une ambiance, développer la syntaxe de mes phrases
pour qu'elles créent l'effet voulu chez le lecteur, je veux cerner
la moindre parcelle des émotions qui saisissent mes personnages,
saisir la moindre nuance de sens dans leurs réflexions ; je
veux travailler la langue pour qu'elle exprime quelque chose qui n'a
jamais été dit avant, une autre manière de voir les choses.
J'espère y parvenir au moins un peu.
Des soutiens !
J'ai donc persévéré, soutenue par Jeanne, mon amie de toujours (amour et gratitude sur elle, depuis le début et pour toujours), et quasiment que par elle durant l'immense majorité des 15 longues années que la rédaction de ce roman m'a pris.
Pour l'anecdote, soit mes amis
trouvaient ça bizarre, soit ils s'en foutaient, soit je ne leur en
parlais carrément pas, justement par lassitude envers le « ah
ouais ? Ah, c'est bizarre ». (Je reconnais qu'au final,
peu de mes proches étaient au courant, mais est-il vraiment utile de
parler de roman de loup-garou à des personnes qui ne lisent pas,
n'aiment pas les littératures de l'imaginaire et ont l'air effrayées
quand je parle de films de vampires?)
Un grand merci donc, au passage, à
ceux et celles que les hasards de la vie ont placées sur mon chemin
et qui m'ont encouragée dans mon projet, même quand le thème ne
les passionnait pas : par ordre chronologique, Jeanne, Ewa,
Christophe, Benjamin, Richard, et bien sûr tous ceux et celles
d'Actusf, grâce à qui je me sens moins seule dans mon délire !
L'étape délicate de la relecture
Et il y a l'étape de la relecture par les amis, en l'occurrence Jeanne, Ewa et Benjamin. J'ai pensé à demander à des inconnus de relire mes textes, lors d'ateliers d'écriture sur OnVaSortir ou sur des forums d'aide en ligne du style Cocyclis, mais je n'arrive pas à confier mes textes à des gens que je ne connais pas. C'est psychologiquement trop violent pour moi, avant une éventuelle publication par un éditeur. J'ai essayé une fois, ça a été plus dommageable que profiteur. C'est embêtant, mais je fonctionne comme ça.
Ce n'est qu'une fois le texte fini et
propre à mes yeux que je peux supporter le regard extérieur, et
encore, celui de mes proches, des personnes que je connais bien et en
qui j'ai confiance, pas le regard de n'importe qui.
Mais ça ne m'a pas empêchée de
proposer mon roman à tout un tas d'éditeurs, une fois que je l'ai
considéré abouti ! Et je suis infiniment heureuse d'être
publiée, sans réserve aucune !
C'est bien mystérieux tout ça, ce
refus de montrer son texte aux autres, un peu à la manière d'un
collégien qui a peur du regard de l'adulte parce qu'il a peur que
son texte ne soit pas à la hauteur, parce qu'il se sent mis à nu
dans ce texte qu'il a écrit avec ses tripes, parce qu'au fond
l'écriture même scolaire et formatée reste une chose intime et
difficile à dévoiler. Quand on écrit, on montre une partie de soi
qui est cachée la plupart du temps, y compris à soi-même, on parle
explicitement ou non de ses fantasmes, de ses angoisses, de ses
rêves, et tout cela relève le plus souvent de la vie privée, de la
vie intime, voire de l'inconscient, car c'est souvent en analysant
ses propres créations qu'on comprend, qu'on prend conscience
d'aspects de sa personnalité qu'on ignorait – ou qu'on ne voulait
pas connaître.
J'ai passé 15 ans sur une histoire de
loup-garou, et les deux prochaines nouvelles que j'ai envie d'écrire,
sans compter le remake du Projet Blair Witch, mettent
en scène loup-garou, sorcière, vampire. Qu'est-ce que cela révèle
de moi ?
(Une amorce de réponse dans ce billet :
http://auxconfinsdelimagination.blogspot.com/2018/09/vampires-loups-garous-et-autre.html
)
La personne la plus à même de
comprendre cet aspect de l'écriture serait sans doute un psychiatre,
qui en fait pourrait apporter des éléments de compréhension aussi
bien qu'un critique littéraire. Il aurait autant de légitimité,
non seulement pour analyser une œuvre, mais aussi pour analyser le
processus même de l'écriture.
Bref, lorsque j'ai fait lire mon texte
à mes amis, je leur faisais confiance (sinon, tout amis qu'ils
soient, je ne leur aurais pas donné), et pourtant c'est avec la
boule au ventre que je l'ai fait. J'appréhendais, à la manière
d'une petite fille qui attend l'approbation d'un adulte, à la
manière d'une débutante qui attend le verdict de l'expert, à la
manière de quelqu'un qui vient de faire des confidences
ultra-intimes à un nouvel ami et qui ne sait pas trop à quelles
réactions s'attendre de sa part.
Ô bêta-lecteurs de tous horizons,
s'il vous plaît, même si ce que vous lisez vous paraît
catastrophique, soyez compatissants envers celui ou celle qui vous a
donné cette marque de confiance, épargnez son hyper-sensibilité
(on est hyper-sensible sur le sujet quand on est auteur débutant),
et ne soyez pas trop durs dans vos remarques !
Mention spéciale à toi, Benjamin :
tu m'as dit « C'est de la merde » à propos de mon texte,
et « ne soit (sic) pas trop dure » à propos du
tien...
Mes sources d'inspiration, mes auteurs et mes œuvres fétiches
Vous aurez compris que j'aime la littérature fantastique et gothique. Parmi mes œuvres préférées, il y a Les Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë, un livre parfait à mes yeux, où chaque passage est à graver dans du marbre. Il y a tout Lovecraft aussi, bien sûr, un Américain du XXe siècle qui écrit comme un Anglais du XIXe, ce qui est le plus beau compliment que je puisse lui faire.
La littérature fantastique française
du XIXe siècle, avec Maupassant, Mérimée, Balzac, Gautier, Nodier,
Barbey d'Aurevilly, Villiers de L'Isle-Adam, est une grande source
d'inspiration pour moi, et je déplore que le fantastique aujourd'hui
n'ait plus cette qualité de style et de vocabulaire que le XIXe a
donné à la littérature. Une qualité d'idées aussi, car miser
tout sur le gore comme on a tendance à le faire aujourd'hui, ce
n'est pas rendre service à notre art littéraire. Sans prétendre
égaler ces grands maîtres, j'ai malgré tout essayé de travailler
mon texte pour rendre hommage à notre patrimoine littéraire.
Et il y a les récits fantastiques sur
les vampires. Dracula de Bram Stoker et les Chroniques
des Vampires d'Anne Rice sont pour moi des exemples à
suivre, parce qu'ils sont très bien écrits, parce qu'ils ont des
idées et qu'ils vont au fond des choses. Oui, il y a des lieux
communs dans les mythes du vampire et du loup-garou, sinon ce ne
serait pas des mythes : ils sont faits d'un ensemble de mythèmes
qui chacun ont leur signification. Le talent d'un auteur sera alors
de comprendre et de s'approprier ces mythèmes afin de créer une
œuvre originale qui les réutilisera intelligemment pour leur
redonner tout leur sens, pour réactiver leur sens. C'est le même
travail de réécriture du mythe que j'ai souhaité faire dans mon
roman.
Et il y a les romans sur les
loups-garous, la trilogie du Dernier Loup-garou de Glen
Duncan, et Kornwolf le démon de Blue Ball de Tristant
Egolf, qui me redonnent espoir sur la capacité des auteurs de notre
époque à se réapproprier ce mythe et à lui redonner de
l'importance, dans la violence certes, mais une violence travaillée
et pleine de sens. J'ai lu ces romans après avoir fini mon histoire,
mais j'ai l'impression que ces auteurs avaient en partie les mêmes
ambitions que moi. Et cela fait plaisir à lire !
Je vous souhaite de tout cœur une
belle lecture, des moments riches et intenses aux côtés de Gwern et
Éléonore, mes deux personnages qui ne me quitteront jamais.
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