SF ou fantastique ?

SF ou fantastique ?
SF ou fantastique ?

Le(s) féminisme(s) à la croisée des chemins / #Festival des idées Paris

Le(s) féminisme(s) à la croisée des chemins

Festival des idées, 21 novembre 2020

Crise de la normalité, Mois des égalités

https://u-paris.fr/festival-idees-paris/les-feminismes-a-la-croisee-des-chemins/


Carte blanche à Philosophie Magazine, partenaire du Festival des idées Paris. 


Pendant la pandémie, on a loué les sacrifices des infirmières et autres travailleuses du « soin ». On accuse le patriarcat de tous les maux, y compris de dégrader l’environnement.

Les femmes sont-elles pour autant « innocentes » en tous points ? Peut-on déconstruire les stéréotypes de genre tout en sacralisant le féminin ? Le féminisme doit-il se penser comme un humanisme à visée universelle ou s’engager dans une lutte pour le pouvoir ? Les revendications des minorités – comme celles des LGBT+ – peuvent-elles aider la défense des droits de la femme ?


Intervenantes : 

 • Sandra Laugier, philosophe, professeure à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne 
 • Peggy Sastre, docteur en philosophie des sciences, essayiste

Une rencontre animée par Anne-Sophie Moreau, rédactrice en chef de Philonomist

 

Organisation :

• Philosophie Magazine


Le patriarcat est-il responsable de tous les maux ? Les femmes ont-elles leur part de responsabilités ? Sont-elles plus morales que les hommes ? Faut-il sacraliser le féminin pour déconstruire les stéréotypes de genre ?

Le féminisme doit-il se penser comme un humanisme à visée universelle ou bien s'ouvrir aux revendications de minorités ?

Que défend, qui défend le féminisme aujourd'hui ? Ce sont des femmes ? Ce sont des valeurs ? Lesquelles ?


Sandra Laugier : s’occupe du « care », du soin, des vulnérables.


Peggy Sastre : a créé le concept d’« évoféminisme » : les stratégies adaptatives de notre espèce, l’influence de la biologie sur les comportements sexués.

« La domination masculine n'aurait pas été imposée aux femmes, mais acceptée par celles-ci car elle servirait leurs intérêts reproductifs. » (Wikipedia)


Sandra Laugier : La crise du covid a montré le travail des femmes, et c'est bien. Il ne s'agit pas de dire qu'elles sont merveilleuses, mais qu'elles ont des compétences et qu'elles font tenir la société. C'est valoriser leur travail réel, le prendre en compte. Leur travail invisible est devenu visible.


Peggy Sastre : Les premières victimes du covid, ce sont les hommes. Maladies infectieuses : les hommes sont toujours plus touchés que les femmes. Les souffrances des hommes sont vues comme quantité négligeable. On se préoccupe plus du sort des femmes que de celui des hommes. Ce sont les hommes qui meurent à la guerre, qui sont incarcérés, tués par la police, victimes de crimes violents, sans-abris, suicidés, décédés sur leur lieu de travail.


Est-ce que c'est une situation de patriarcat ? D'après Sandra Laugier oui, d'après Peggy Sastre, il n'existe pas.

Qui est responsable de cette situation ?


Peggy Sastre : D'où vient cette situation ? L'analyse des pays riches montre que c'est un choix, les femmes vont vers le care, pas les hommes. La biologie reproductive repose sur un conflit sexuel, et une inégalité biologique : la femme produit un ovule par mois, pendant que l'homme produit des millions de spermatozoïdes. Puis c’est la gestation, l’accouchement et l’allaitement pour la femme, d'où des différences comportementales, notamment dans les choix des métiers.


Qu’est-ce que le care ? Pourquoi les valeurs du soin sont négligées aujourd’hui ?


Sandra Laugier : L'inégalité est en lien avec le patriarcat, il n’est pas question de dire que qui que ce soit va être responsable individuellement de ces inégalités. Le patriarcat a une base historique, ancestrale. Le care est fabriqué là-dedans. L’éthique du care va critiquer cette situation historique qui a maintenu les femmes à la maison, dans l’univers domestique, considéré comme moins important que la vie publique. C’est certainement pas les femmes qui sont responsables de cette situation. C’est pas un choix, de rester à la maison ou de choisir une profession sous-payée. C’est une situation d’inégalité globale, avec bien sûr des exceptions. Je ne pense pas que les données biologiques soient pertinentes pour analyser ces données.

Ce qui se passe, c’est que certaines professions sont très majoritairement féminines, et elles sont sous-payées (aides-soignantes, etc), et il n’y a pas de justification à cela. Simplement, lorsqu’une profession va être dévalorisée, elle va être majoritairement féminine. Et c’est dû à cette situation inégalitaire, le patriarcat.

La notion de care est basée sur l’idée qu’il faut valoriser des attitudes et du travail d’attention à autrui. C’est une analyse féministe qui consiste à dire : attention, on dévalorise ces professions parce qu’elles sont essentiellement féminines, et donc sous-payées. On considère que ce n’est pas la peine de payer pour quelque chose qui peut être fait gratuitement.


Avec la crise du Covid, est-ce qu’on pourrait enfin se rendre compte de l’importance de toutes ces professions ? S’y intéresser et ne pas dire que c’est « un truc de bonnes femmes » ?


Sandra Laugier : Non, la crise du Covid a lésé les femmes au niveau professionnel et social. Elles ont perdu leur emploi, ont dû rester à la maison, s’occuper des tâches domestiques, des enfants. On peut se demander quels sont les secteurs qui sont importants dans une société ? L’éducation et le soin, le service public, les services à la société sont globalement dévalorisés. L’aviation et l’automobile, l’industrie sont valorisées.

L’éthique du care, c’est de dire que l’éducation, le soin, le service public sont dévalorisés car associés aux femmes. Ils sont ce qu’on tient pour acquis comme soutien de la part des femmes (on tient aussi beaucoup de choses pour acquises de la part des hommes).


Y a-t-il une propension naturelle à l’empathie chez les femmes, comme dit Peggy Sastre ? Est-ce que ça fait des femmes des personnes ayant plus de moralité que les hommes ? Est-ce que c’est une bonne stratégie pour le féminisme d’essentialiser des valeurs traditionnellement vues comme féminines ? Enfermer les femmes dans des stéréotypes de genre ?


Sandra Laugier : Est-ce que ces professions féminines du soin sont bâties sur une psychologie féminine ? Je ne crois pas. Beaucoup d’hommes ont de l’empathie. Comme Joe Biden.

La thèse, ce n’est pas que les femmes sont empathiques et les hommes de gros durs, c’est que l’empathie va être encouragée chez les femmes et découragée chez les hommes. C’est l’inverse de l’essentialisme. L’empathie est dévalorisée au niveau de la structure sociale, qui dévalorise tout ce qui touche aux femmes. L’éthique du care critique cette situation, ces stéréotypes, elle veut la mettre en évidence. Les femmes ne sont pas vulnérables mais vulnérabilisées.


Peggy Sastre : Je ne suis pas d’accord, il y a quand même beaucoup de ces phénomènes qui relèvent d’un choix. Des enquêtes montrent que les femmes, en l’absence de contraintes économiques, choisissent comme organisation professionnelle idéale : 5 % temps plein, 75 % mi-temps, 20 % pas de vie professionnelle. Les chiffres sont radicalement différents chez les hommes qui veulent travailler. 

Question de la moralité : les femmes sont plus moralisatrices. Selon des enquêtes, les franges les plus conservatrices, quelle que soit la culture, sont majoritairement composées de femmes. Les franges qui sont contre le mariage homosexuel, contre la prostitution, contre l’avortement, pour l’excision : ce sont majoritairement des femmes. Les femmes sont la police des mœurs : ça existe vraiment. Sans la participation active des femmes, les systèmes les plus rigoristes tomberaient en 2 secondes. 


Sandra Laugier : Si les femmes demandent plus de temps libre, demandent à être plus à la maison, c’est parce que les tâches domestiques leur échoient plus souvent. Ce n’est pas plus de temps pour elles. Ça a été l’objet de beaucoup d’études sociologiques.

Les femmes participent en effet aux pressions, elles sont aussi aux côtés des hommes pour s’assurer à elles-mêmes une place enviée dans la société.

Il y a des endroits, des situations où les femmes sont très progressistes. On ne peut pas dire que les femmes soient plus moralisatrices ou réactionnaires que les hommes. Elles sont à la pointe des luttes dans beaucoup de pays.


Le féminisme aujourd’hui : est-ce un humanisme à visée universelle, avec toutes les personnes vulnérables ; ou bien on défend certains individus en particulier. Minorités LGBTQ+, minorités ethniques : on parle beaucoup d’inclure dans le féminisme différents groupes selon le principe de l’intersectionnalité. Est-ce que le féminisme « originel », qui défend les femmes au sens traditionnel du terme, ne risque pas de se diluer ?


Sandra Laugier : Je sais pas ce que c’est que le féminisme traditionnel. Si c’est la 1ère vague qui veut que les femmes aient les mêmes droits que les hommes, c’est une étape importante mais pas suffisante.

Attention : par exemple, quand les femmes ont obtenu le droit de vote aux EU avant la France, ça concernait les femmes blanches, pas les femmes noires. Des droits acquis pour des femmes ne le sont pas pour toutes les femmes, c’est un des problèmes. C’est extrêmement important à prendre en compte.

Intersectionnalité : il ne s’agit pas d’ajouter d’un coup des catégories, des concepts au féminisme, il s’agit, et ça a été tout l’enjeu de la 2ème vague, de penser toutes les inégalités que subissaient les femmes et voir les raisons culturelles plus générales de ces inégalités. Les femmes qui sont dans des positions défavorisées, sous-payées, c’est aussi souvent en France des personnes d’origine étrangère, victimes de racisme. Toutes sortes d’inégalités vont s’accumuler sur elles. C’est ça l’intersectionnalité : montrer qu’il y a un cumul. Le féminisme, c’est se battre pour l’égalité, de droits (racisme), de droits sexuels (homosexualité), de genre (transgenre). Que tout le monde soit traité correctement, pas comme un citoyen de seconde zone. Le féminisme est passé d’une question de droits qui est extrêmement importante, à une analyse des différentes sortes d’oppressions que subissent par exemple les trans. Il ne s’agit pas de diluer le féminisme, le féminisme c’est se battre pour l’égalité, laquelle n’est pas acquise. 

Peggy Sastre : Ce qui me dérange dans cette façon de voir, les hommes, les femmes, c’est que c’est très simpliste. Les acquisitions des droits sont en fait très variables et remettent en cause les analyses. L’idée que les femmes sont progressistes est simpliste et se heurte à des réalités mesurées.

L’intersectionnalité, c’est du double discours : dans les apparences, c’est très bien ; mais matériellement, ce sont des systèmes de pensée qui accentuent des identités fixes, des catégories auxquelles on ne peut pas s’identifier, pour lesquelles on ne peut pas s’émouvoir si on n’en fait pas partie. Ça produit une balkanisation de la société et des germes de guerres civiles, qui me préoccupent énormément parce que justement ça provoque un backlash (une conséquence négative ou une réaction hostile – contrecoup, retour de bâton) sur des droits péniblement acquis, les progrès sociaux et sociétaux acquis de haute lutte. Ces droits sont remis en question parce que les théories de l’intersectionnalité balkanisent la société. Ça accentue les tensions. Les autoritaires de droite vont rafler la mise.


Sandra Laugier : Je ne suis pas d’accord avec cette idée de balkanisation. L’intersectionnalité, la prise en compte de toutes sortes de différences parmi les femmes, ou parmi les classes sociales opprimées, c’est quelque chose qui n’est pas identitaire, qui montre que chacun est composé de nombreuses identités, composantes, et que pour certains ces composantes se cumulent de façon défavorable, pour d’autres d’une façon qui les aide. C’est la prise en compte de toutes ces dimensions en chaque personne. L’intersectionnalité n’est pas une volonté de séparation des différentes causes.

C’est bien possible qu’il y ait un backlash parce qu’il y a constamment des résistances très fortes au féminisme. On est quand même dans des sociétés dominées par les hommes. On est constamment en train d’être très choqués, très critiques par rapport à des formes de féminisme radical. Depuis le début, on dit que les femmes vont exagérer, vont être excessives ; mais on dit ça depuis le début du féminisme. En réalité, ça fait partie à la fois du féminisme d’aller de l’avant et de choquer parfois, et ça fait partie des sociétés patriarcales de toujours résister aux discours et aux actions féministes.


Peut-on vraiment considérer les femmes comme un groupe social homogène, vivant les mêmes expériences (femmes noires, ouvrières) ? Intersectionnalité, question de l’inclusion des personnes transgenres, valeurs féministes queer et valeurs religieuses ?


Peggy Sastre : L’affaire Mila, c’est un exemple que l’intersectionnalité est très jolie sur le papier, mais a un caractère pernicieux. Comment concrètement elle s’incarne ? On note le silence assourdissant des féministes françaises, pour Mila et pour Cologne. Tout le monde se tait à gauche, surtout les femmes féministes, car il ne faut pas s’en prendre aux musulmans. On fait l’amalgame entre extrémistes islamistes et musulmans. On donne ainsi du grain à moudre aux islamistes. C’est un clash de civilisation.


Sandra Laugier : Bien sûr, on ne peut pas dire que « les femmes », ce soit un groupe homogène, et c’est aussi pour ça qu’il y a besoin d’intersectionnalité : à la caractéristique « femme » s’ajoutent toutes sortes d’autres éléments. Et c’est aussi qu’il y a des inégalités très fortes entre femmes. Des femmes sont au service d’autres femmes. Plein de femmes des pays du Sud viennent au service des femmes des pays du Nord, c’est un élément d’inégalité extrêmement important. L’intersectionnalité, ça sert à prendre en compte tous ces facteurs. Il ne faut pas prendre prétexte du féminisme pour attaquer certaines catégories de la population, notamment les musulmans. Ce n’est pas la visée du féminisme qui est une pensée de l’égalité, pas de la stigmatisation.


Création : 21 novembre 2020

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Tous les commentaires pertinents, respectueux et sans fautes d’orthographe sont les bienvenus.