SF ou fantastique ?

SF ou fantastique ?
SF ou fantastique ?

Les récits futuristes peuvent-ils aider à développer l’esprit critique ?

L'exemple de l'exposition Renaissances : 
mercredi 29 septembre 2021
T'éduc, webinaire de la Cité des sciences





Construire un récit, se projeter dans le futur… Si ces exercices sont souvent employés en classe, ils semblent pourtant être rarement mis en lien avec le développement de l’esprit critique, thème très en vogue de nos jours. Il s’agit pourtant de se nourrir de connaissances et de projections pour visualiser l’avenir, et ainsi de confronter nos jugements et nos croyances à leurs potentiels impacts sur le monde qui nous entoure. 

Dans les musées ou dans les classes, comment les récits peuvent-ils aider à développer l’esprit critique des élèves ? Permettent-ils de développer les savoirs, et de les remettre en question ? 

Nous tenterons de répondre à ces questions, en nous appuyant sur les expériences des intervenants, ainsi qu’au travers les dispositifs muséographiques proposés sur l’exposition Renaissances. A travers des récits immersifs, cette exposition temporaire de la Cité des sciences et de l’industrie nous invite - à nous confronter aux risques socio-environnementaux de nos sociétés, et à penser la société de demain. 

Avec la participation de :

  • Côté recherche : Michel Fabre, Philosophe et professeur émérite en sciences de l’éducation à l’Université de Nantes, dont les travaux portent sur l’éducation dans la post-modernité et l’épistémologie des savoirs scolaires ; Yannick Rumpala, Maître de conférences, Laboratoire ERMES de l’Université de Côte d’Azur, étudiant notamment la science-fiction en sciences sociales et politiques;
  • Côté enseignement : Jean-Michel Zakhartchouk, enseignant ayant mené de nombreux projets d’écriture avec ses élèves ;
  • Côté institutions : Christelle Guiraud, commissaire de l’exposition Renaissances.


Un webinaire animé par Marie-Catherine Mérat, organisé en partenariat avec les Cahiers pédagogiques et avec le soutien de MAIF.


Notes au fil de l'eau :  

Demander aux élèves de se projeter dans le futur : la SF est un bon moyen de développer cet esprit critique.

C’est quoi la SF ?

C’est un contenu scientifique au sens très large. C’est une extrapolation sur des techniques et des sciences. C’est un décalage spatial et temporel. On se projette dans un univers qui n’est pas le nôtre. La frontière entre le présent et le futur est parfois floue.

C’est un genre narratif qui fait des hypothèses sur ce que pourrait être le futur, ce qu’aurait pu être le présent ou le passé, en s’appuyant (enfin pas toujours… on joue aussi sur des variables qui sont impossibles dans la réalité physique) sur les connaissances scientifiques, ethnologiques, sociétales actuelles.

William Gibson, Greg Egert font de la hard science, ils font un effort pour que leurs mondes créés suivent vraiment les lois de la physique.

La mauvaise réputation de la SF : clairement, c’est un genre « mineur » qui est méprisé, marginalisé. La SF qu’on veut vendre comme prestigieuse est présentée comme littérature blanche, comme Margaret Atwood. A l’Association française de sciences politiques, dans la section « politique et littérature » : le policier est cité, pas la SF.

Jean-Michel Zakhartchouk, enseignant ayant mené de nombreux projets d’écriture avec ses élèves (Fait partie des cahiers pédagogiques).

Par contre les jeunes apprécient particulièrement la SF. Mais ça reste marginal dans l’EN. Certains profs ont essayé d’introduire dans les programmes des réflexions sur le futur, ont essayé de relier la SF, l’esprit critique, le développement durable. C’est un travail fait avec Christian Grenier, auteur jeunesse SF. On peut croiser tout ça aussi avec l’uchronie. Il n’y a pas assez de documents de vulgarisation jeunesse sur le développement durable.

Par le biais de la narration et de la fiction, on réfléchit sur les problèmes de notre temps, ce qui est une des fonctions des récits futuristes. Comment faire pour éviter un futur trop sombre ? Ce n’est pas assez utilisé par les enseignants de français.

Maintenant qu’on a plein de documentation sur ces sujets, et plein de films et autres fictions, c’est plus facile d’écrire et de faire écrire de la SF.


C’est un genre d’initiés ? Est-ce que ça aiderait un enseignant de commencer par Jules Verne pour exercer son esprit critique ?


Michel Fabre : non, Jules Verne n’innove pas tellement. Il n’y a pas beaucoup de décalage spatial, temporel, technologique. Ses machines existent déjà, il perfectionne des machines qui existent déjà. C’est de la socio- et politique-fiction plutôt : c’est son intérêt. L’imagination d’un futur pas forcément riant. Il y a toujours un aspect ironique et critique dans ses œuvres concernant la science et la technique. Verne n’est pas un inconditionnel de la modernité, de l’industrie. Il en souligne les problèmes, comme la misère noire des employés de l’industrie. Il critique la pollution et l’inculture aussi.

Michel Fabre conseillerait le roman « Sans dessus dessous » de Verne pour commencer à étudier la SF en classe. C’est un roman du capitalocène : une critique de cette société du progrès qui veut tout exploiter dans son unique intérêt. Une critique de l’anthropocène, du capitalisme industriel et financier. Dans le roman, la moitié de la population finit noyée, l’autre asphyxiée. Une critique du pouvoir des multinationales qui échappent à tout contrôle étatique. Une critique du rôle de la presse, de la finance. On se rapproche du mythe de Faust, au prix de l’humanité.


La SF joue avec la plausibilité de scénarios imaginaires projetés.


2 dimensions importantes :
  • heuristique, exploratoire : un des intérêts de construire des mondes, c’est explorer des variables et des paramètres qui sortent de notre présent, de notre monde contemporain. On joue là-dessus. Qu’est-ce que serait une société qui aurait poussé X ou Y chose à son maximum ? C’est un laboratoire, une expériences de pensée, où on teste des hypothèses, de la même manière que la philosophie.
  • problématisation : esprit critique : on sort de l'évidence. Des choses qui nous paraissent évidentes, quand on est en décalage spatio-temporel, elles nous paraissent moins évidentes. Les aspects scientifiques, techniques, politiques, sociaux sont travaillés.

Par la lecture, quelques auteurs contemporains :

  • Dune
  • Le Meilleur des mondes (amélioration génétique)
  • Oblivion : c’est une allégorie, une métaphorisation du capitalisme extractiviste qui pompe les ressources de la planète, comme un vampire qui suce le sang de la terre jusqu'à la dernière goutte. En plus, il y a la surveillance par des drônes.


La SF a un côté un peu ardu, on parle beaucoup de sciences, techniques, technologies. Peut-être que c'est un aspect qui peut faire un peu peur. Donc un projet de récit futuriste avec des élèves, ce serait peut-être bien de le faire en transdisciplinarité.

C'est parfois difficile, mais la transdisciplinarité français-sciences est très intéressante. Mais la science de la SF correspond parfois à la vraie science, parfois c'est une science fantaisiste et c'est pas grave. Ce qui est intéressant pour l'esprit critique aussi, c'est d'arriver à faire comprendre aux élèves qu'il y a un côté fantaisiste dans la SF qui ne nous empêche pas de penser aux problèmes de notre temps. Ça rejoint les contes philosophiques. Micromégas, de Voltaire, c'est quasiment de la SF. Les Voyages de Gulliver aussi. En français, il y a le concept de « pacte de lecture » : on accepte, quand on est dans la science-fiction, qu'on puisse voyager dans le temps, aller plus vite que la vitesse de la lumière. Ces éléments impossibles n'empêchent pas de réfléchir à la critique de la société. Le côté scientifique est souvent un habillage, ça permet d'aborder des problèmes écologiques, économiques. Ce qui est intéressant aussi, c'est de voir le côté historique : dans La Mort de la Terre, Rosny parle de la pénurie d'eau. C'est important de croiser des auteurs anciens et récents. C'est une dimension forcément critique aussi. Et l'histoire de l'exploration du futur, c'est quelque chose qui hante les humains. Ce qui peut arriver, ce qui est aujourd'hui, est-ce qu'il y a des prémisses de ce qui peut arriver demain, plusieurs possibilités, optimistes ou non.


Cet exercice d'anticipation a été fait pour l'exposition Renaissances à la Cité des Sciences : élaborer les différents scénarios de l'exposition. Ce sont les imaginaires du futur dans le cadre des enjeux actuels, sociologiques, politiques, environnementaux ; une prise de conscience de plus en plus présente de ces enjeux. Les imaginaires des gens se développent de plus en plus, en écho.

On cherche à expliquer pourquoi on a ces imaginaires du futur, quels sont leur rôle dans la société.

On immerge les visiteurs au sein de fictions que les responsables de l'exposition ont écrites, et on leur propose une analyse critique (les aider pour ça) de ces fictions. C'est appuyé sur des imaginaires assez collectifs, quand même. Les visiteurs sont immergés dans ces fictions, avec les émotions qui vont avec, c'est très important. On veut provoquer des expériences de pensée, déclencher le questionnement, l'esprit critique et l'envie d'agir ; on veut que les visiteurs se souviennent aussi de cette expérience pour continuer la réflexion, l'analyse critique.

Proposer des expériences de pensée : on ne sait pas comment le futur va se passer, donc on peut imaginer des choses, pour ensuite en tirer des conséquences, se mettre à réfléchir, problématiser ce qui se passe aujourd'hui, mais dans le futur. Avec comme objectif de l'exposition : déclencher une envie d'agir. Il y a un décryptage scientifique, mais leurs scénarios sont pas trop sciences et techniques, plutôt sociologie, histoire, mythologie, économie, politique. Il y a forcément des dimensions techniques, mais les scénarios se concentrent sur autre chose. Toutes ces fictions sont plausibles parce qu'on veut que les visiteurs se posent des questions et se projettent dans ce futur.

Le visiteur joue (c'est un jeu virtuel) avec son téléphone sur les différents scénarios proposés, et ensuite seulement vient la phase analytique où on l'aide à penser son expérience de manière critique.

Le futur désirable est le plus difficile à imaginer. Il y a un certain nombre d'étapes psychologiques à passer avant d'être capable d'imaginer un futur désirable.

Il y a de l'anxiété chez certains enfants quand ils sont confrontés à des scénarios assez sombres. En SF, on a souvent des scénarios assez sombres. Comment on dépasse ça ?

Le philosophe Hans Jonasz (L'heuristique de la peur) (pas pour moi) dans l'exposition : la peur peut être un des leviers qui permet de se confronter à ce qui nous attend, et finalement d'agir pour dépasser cette peur, pour aboutir à du positif. L'éco-anxiété dans notre société est liée à la prise de conscience des changements actuels, notamment climatiques.

Le dernier scénario cherche à construire un monde souhaitable, positif, viable. La dystopie est plus facile à imaginer que l'utopie : c'est très humain, nos émotions sont toujours plus enclines à imaginer le pire. C'est démontré en psychologie. Il y a plusieurs étapes dans le cheminement de l'anxiété paralysante vers l'action positive. Dire aux visiteurs qu'on est tous capables d'agir, on est tous partie prenante, ce n'est pas une affaire d'experts ou de scientifiques. On peut travailler sur sa peur pour ensuite imaginer du positif.

Faire lire des dystopies à des enfants en littérature jeunesse, à un moment où leur esprit est en formation, ça peut être risqué par rapport à l'éco-anxiété. Le succès des dystopies, ce sont aussi des produits commerciaux, faits exprès pour faire vendre, pour faire peur, pour manipuler politiquement les ados. Que cherchent les producteurs de films ? A vendre ce qui se vend. Il y a un côté très manipulateur dans ce type de récit car ça fait fortement résonance au processus de construction intellectuelle et émotionnelle pendant la période adolescente. Dans tous les récits, il y a un accrochant politique. Dans ce type de récit, cet accrochant politique met en avant des formes d'héroïsation individuelle par rapport à des collectifs forcément méchants. Hunger Game, c'est clairement l'enfant en construction vers l'adolescence qui est en rébellion par rapport à l'autorité parentale. On produit un récit qui est très séduisant pour des gamins, en leur donnant une vision du monde qui est quand même assez particulière.

Il n'y a pas beaucoup de récits futuristes positifs et utopiques ; pour des raisons qui s'expliquent : faire un bon récit captivant, c'est plus facile quand quelque chose va mal. Quand tout va bien, faire un récit captivant, c'est plus compliqué, pour des raisons bassement narratives. Pour captiver un lecteur / un spectateur, c'est plus facile de jouer sur le ressort narratif quand les événements vont mal.


Demander aux élèves d'inventer et d'écrire ces récits futuristes positifs ? Mettre en place un laboratoire d'idées ?

Épistémologie de la problématisation : Michel Fabre. Est-ce que la SF est un bon moyen de travailler des problèmes complexes ? Aujourd'hui on a énormément de controverses scientifiques, avec beaucoup de facteurs. Est-ce que les élèves arrivent à s'y retrouver ? Est-ce que les faire travailler sur des récits futuristes, ça peut être un bon moyen de les faire travailler sur cette complexité ?

Michel Fabre : il y a l’idée de la critique. On a beaucoup insisté sur l'idée que c'est le lecteur / spectateur qui va faire la critique et que l’œuvre en elle-même n'est pas critique. En fait il y a aussi des œuvres qui incorporent cette critique. Par exemple chez Jules Verne où on a le procédé de l'ironie, du contraste utopie / dystopie.

La problématisation est donc possible avec la SF : l'imagination d'un autre monde relativise le sien propre et fait apercevoir des choses qu'on ne voyait pas. Les données et les paramètres avec lesquels on joue relativisent notre univers. On se rend compte que l'univers dans lequel on vit n'est que l'un des univers possibles dans la réalité. On nous présente notre monde comme nécessaire, le seul possible, mais en inventant d'autres possibles, on peut réfléchir, ouvrir sa réflexion, ouvrir un espace de liberté. Donc oui, c'est ça la problématisation.

Les émotions et les risques psychologiques de ces émotions : il ne faut pas négliger de jouer à la fois, la dialectique entre l'appropriation (« vivre l'histoire ») et la distanciation. C'est ça qui permet de sortir, de prendre les choses avec du recul. A la fois prendre conscience des catastrophes, mais aussi comprendre pourquoi ces catastrophes arrivent ou peuvent arriver. La distanciation est donc aussi importante. Tout ça fait partie de la problématisation : il faut être à la fois impliqué, et à la fois prendre des distances.

Développer l'esprit critique en fonction de leur réalité vivante est important.

Pour les sciences dures, il y a une autre manière de faire de l'esprit critique. Ça dépend de ce qu'on appelle critique. On peut inviter les élèves à questionner les superbes inventions qu'on voit dans les films. Par exemple, des choses développées par Roland Lehoucq qui s'amuse à tester la plausibilité d'un certain nombre de représentations qu'on voit en SF. Un sabre laser ? Un vaisseau spatial ou un monstre de telle dimension ? C'est possible ? Cela fait intervenir les sciences physiques, la biologie.

C'est peut-être un peu difficile pour des élèves de collège. Mais ça peut être une bonne manière de donner un contenu concret à quelque chose qui peut leur paraître abstrait. Les maths servent à faire décoller les fusées : c'est un exemple concret qu'on peut donner aux élèves pour les intéresser aux choses scientifiques abstraites.

La SF peut être le moyen de faire le chemin inverse : partir des fabuleuses inventions qui existent dans la fiction, et amener les élèves à se questionner sur leur degré de crédibilité.

Ça peut être vrai aussi pour d'autres types de sciences comme l'économie ou les sciences sociales : dans quelle mesure une société qui fonctionnerait sur certaines bases anthropologiques pourrait tenir sur la longue durée par rapport aux hypothèses qui ont été posées. En histoire aussi, avec l'histoire contre-factuelle, l'uchronie, les variables historiques (on peut constater que parfois ça s'est joué à pas grand-chose, c’était plus du hasard).

La fiction finalement est une amie de la raison. Elle permet de faire preuve d'imaginaire et de faire le tri entre l'imaginaire et la réalité. Les théories du complot : en SF, c'est très riche. La fiction n'est pas du côté de l'irrationnel, le travail interdisciplinaire permettrait de faire le tri entre l'imaginaire et le scientifique.

Partir d'idées de SF et les décortiquer, ça semble plus simple que d'écrire une nouvelle d'anticipation.


Des courants artistiques : 
  • Cyberpunk : Début 1980, prend le contre-pied de la SF de l'époque qui est portée vers le progrès, l'exploration spatiale. Un courant d'auteurs décide de faire revenir la SF sur Terre, avec comme hypothèse de mélanger le high-tech (cyber) avec une forme de déliquescence sociale généralisée (punk). Ce sont les années où on commence à découvrir les potentialités de l'informatique.
  • Steampunk : uchronie : qu'est-ce qui se serait passé si la technologie dominante aujourd'hui était restée la machine à vapeur et le charbon, au lieu d'être passée au pétrole ? Quel fonctionnement social ? Steam = vapeur en anglais.
  • Biopunk : on se concentre sur les bio-technologies, la manipulation du génome, etc
  • Solarpunk : comme base sociale, les énergies renouvelables (soleil), et toutes les valeurs culturelles qui peuvent y être associées : ouverture sociale sur les différences de genre, de culture. Une société pacifique envers les différences, douce, respectueuse. C'est plus un manifeste qu'un vrai courant littéraire, peu d’œuvres là-dessus. Mais Ursula Le Guin peut y être rattachée.


Sitographie :

https://www.cite-sciences.fr/fr/vous-etes/enseignants/formations-et-projets/teduc/

http://www.lecturejeunesse.org/numook/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Lionel_Naccache

https://www.cea.fr/comprendre/jeunes/Pages/multimedia-editions/podcasts/physique-des-super-heros.aspx (Roland Lehoucq ?)




Création : 29/09/2021

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