A l'occasion du Paris International Fantastic Film Festival 2022, le Max Linder Panorama nous propose Strange Days de Kathryn Bigelow, sorti en 1995.
Le film est emmené par Lenny, personnage électrique, instable, perdu, magnétique, incompréhensible, dont on devine progressivement qu'il cache beaucoup plus sous cette apparence rapide et peu fiable. Les autres personnages gravitent autour de lui, et eux aussi prennent progressivement leur substance, leur personnalité, leur vraie place dans ce récit qu'il faut reconstruire morceau par morceau.
Strange Days, ce sont les jours qui précèdent l'an 2000. Une attente et une anxiété qui rendent les gens fous, fébriles, hargneux, destructeurs. Les émeutes s'accumulent, les incendies se propagent ; le tout sur fond de racisme et de violences policières envers cette banlieue pauvre et à majorité non blanche.
Et pour tenir le coup, une nouvelle "drogue" circule, une nouvelle technologie de réalité virtuelle qui franchit encore des limites. Le terme de réalité n'aura jamais aussi bien porté son nom : en mettant un récepteur sur sa tête, on peut enregistrer sa propre réalité durant quelques instants : ses perceptions, ses sensation, ses expériences de vie. Cela crée un film, et lorsque quelqu'un d'autre, avec l'équipement nécessaire, regarde ce film, il vit littéralement ce que l'autre a vécu, il ressent toutes ses sensations.
Et cela tourne au cauchemar, lorsque cette technologie est utilisée pour des expériences limites, voire des expériences définitives : la scène d'ouverture est l'enregistrement d'un voleur à main armée qui meurt à la fin de son braquage...
Un autre taré met l'enregistreur sur sa propre tête et le casque du film sur la tête de la fille qu'il viole ensuite. La fille ressent en même temps l'horreur du viol qu'elle est en train de subir, et le plaisir que vit son violeur. Même Lenny, ce flic déchu passé à la contrebande ne peut retenir sa nausée.
L'histoire se tisse ainsi autour de Lenny. Mace, la mère célibataire qui fait tout pour s'en sortir, veut continuer à l'aider en raison du lien qui les unit, mais Lenny tombe si loin dans la déchéance qu'elle est obligée de choisir entre lui et son gagne-pain. Faith, la jolie fille capricieuse qui aime qu'on la regarde nue, l'a quitté pour un chef de gang, mais il ne parvient pas à l'oublier. Et ses autres connaissances, tous des paumés, essaient eux aussi de s'en sortir.
Dans ce capharnaüm, Lenny découvre ce qui se révèle être une bombe à retardement, un secret qui va coûter la vie à de nombreuses personnes, une preuve...
... une preuve qu'un policier a abattu un noir sans défense. Cela a été enregistré, et le flic ripoux veut par tous les moyens récupérer cet enregistrement. La cassette passe de main en main, et tous se font tuer, ou manquent de l'être.
Lenny et Mace récupèrent la cassette passée par les mains de Faith, comprennent son contenu brûlant, et parviennent à la donner au commissaire. La vérité éclate en public, quelques secondes avant l'an 2000, alors que les émeutes sont à leur maximum : aux yeux de tous, le commissaire arrive en hélicoptère et met aux arrêts le flic ripoux.
La foule est satisfaite de cette justice rendue, la joie du Nouvel An peut éclater au milieu de l'émeute, et Lenny, flic déchu qui a gagné sa rédemption, réalise enfin que c'est Mace qui compte - Faith n'étant qu'une apparition inconsistante.
Tous les acteurs sont à leur maximum, tous sont extraordinaires. Ralph Fiennes est totalement méconnaissable avec sa tête lumineuse, ses cheveux blonds flamboyants et ses yeux clairs magnétiques. Il est un éclair, une tornade ingérable et fascinante dans ce monde désespéré. Sans arrêt en mouvement, sur la corde raide, proche du point de rupture, on pourrait regarder ce film rien que pour le revoir nous fasciner et nous dégoûter. C'est extraordinaire.
Au milieu de ses amis (loser paumés) et de ses ennemis (membres de gang) se dessinent deux portraits de femmes à l'opposé l'une de l'autre. Juliette Lewis, créature diaphane et inconsistante, ne vit que dans le regard de l'homme, et dans la peur. On pense admirer une déesse, on ne découvre qu'une chose sans âme. Angela Basset crée l'inverse : une femme solide, forte, belle, qui a du caractère et sait s'en sortir. Elle n'est pas gâtée par la vie, mais garde la tête haute. Mère célibataire, elle tient à Lenny car il a protégé son fils lorsqu'il était encore flic. Mais Lenny est trop déchu pour la voir telle qu'elle est. Il lui faudra retrouver sa dignité pour s'en rendre compte.
Création : 10/12/2022
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